Libre comme l\'Eire

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UNE TEMPETE DANS LA BAIGNOIRE

Quand j'étais petite, je jouais à Dieu. A l'écrit, bien sûr, on est un peu Dieu: on créé le décor, on connaît les pensées et paroles de chaque personnage.

 

Mais avant même d'écrire, je jouais à Dieu.

 

Dans ma baignoire.

 

 

J'avais un tas d'animaux en plastique, que je noyais sous le

déluge du pommeau de douche. J'étais un Dieu cruel. Avec moi, même Noé s'en serait pas sorti.

 

 

 

 

Les pauvres bêtes étaient littéralement projetées contre le bord de la baignoire, écrasées, impuissantes, contre l'émail blanc.

 

Hugo a écrit "La tempête sous un crâne." J'ai créé la tempête dans la baignoire.

 

Et je l'ai enseignée à ma nièce quand elle prenait son bain. Mon Aube a trois ans. Elle est friande d'histoires, comme je l'étais à son âge, dans les livres d'images ou simplement en paroles.

 

En guise d'illustrations, j'avais ses jouets en plastique : une baleine jaune, deux bateaux, un gros poisson, une canne à pêche, et un Playmobile sans jambes.

 

Associations d'idées dans ma cervelle d'angliciste... Melville jaillit tout de suite dans ma tête, et j'entrepris de conter à ma nièce les aventures du capitaine Achab et de la baleine Moby Dick.

 

 

Mon Aube appris ainsi comment son playmobile avait perdu ses jambes, et quelle vengeance terrible il concoctait contre la baleine blanche, devenue jaune pour les besoins de la production.

 

Puis je racontai comment Pinocchio avait fini dans le ventre de Monstro et en était sorti. Faire éternuer la baleine jaune n'était pas une mince affaire, mais ma nièce y a cru, c'est l'une des merveilles de l'enfance que de croire aux histoires d'une tante farfelue.

 

Une histoire ne vient jamais seule. Gros poisson, canne à pêche, bateau, et voilà que refluaient le souvenir de ma propre enfance, et les larmes que j'avais versées un matin de vacances pour Santiago, le vieux pêcheur d'Hemingway.

 

 

 

Le playmobile reprit du service.

 

Le poisson était un peu loin de l'espadon d'Hemingway...

 

 

mais il remplit fort bien son office, et se laissa pêcher sans faire d'histoires.

 

La baleine se changea en requin et dévora le poisson tant convoité, au petit désespoir de ma nièce, navrée pour Santiago le playmobile.

 

Pour la consoler, je décidai de retomber en enfance pour de bon, et de la changer en Dieu pour terminer en beauté.

 

Les histoires s'emmêlèrent, poisson, baleine et requin, Achab et Santiago, Pinocchio et la canne à pêche.

 

Ma nièce est sortie du bain, et se replongera un jour, je l'espère, dans les textes que ma mémoire entortillée fait revivre pour elle.

 

 



21/01/2011
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