Libre comme l\'Eire

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UN TITIEN VAUT MIEUX QUE DEUX, TU L'AURAS - OEUVRE A QUATRE MAINS

Je reviens à Paris pour le plaisir de retrouver des peintures italiennes. L'entrée, certes, a coûté cher, et la queue était longue, mais j'ai contemplé les toiles des heures durant, enchantée par les maîtres vénitiens.

J'ai découvert, à l'adolescence, la langue italienne, et avec elle un monde nouveau, chantant et coloré. C'est une belle professoressa qui m'emmena à Venise. Je me rappellerai toujours la joie d'avoir découvert la Renaissance, l'odeur de la lagune dans le jour mourant, les battements d'ailes grises sur la place Saint-Marc, le goût du sorbet fraise, et la langue italienne qui roulait sur le canal.

A Venise comme ailleurs, j'avais la tête dans les nuages, mais pour cela il me suffisait de regarder au plafond.

Ah, le vertige splendide de mes jours vénitiens ! Je les ai retrouvés dans ma cité natale, où l'on rendait hommage au Titien, l'un de mes favoris.

L'exposition montre comment Véronèse, artiste du vertige cité plus haut, et Tintoret, son conccurent un peu moins illustre, imitèrent Titien sans jamais l'égaler.

C'est donc fusil sur la tempe que je prends la plume car oui... ce n'est plus votre fidèle chroniqueuse qui chatouille frénétiquement le clavier. Alors je vais expliquer pourquoi il est bien le tableau. Allons-y, et je n'aurai pas du tout l'impression de faire un devoir supplémentaire !

Voici donc ''la jeune femme à la toilette'', toilette certes sommaire, point de Tahiti douche mais une fiole de parfum. Le premier clampin venu, il voit quoi ? A priori une pouffe qui se caresse les tifs... eh bien non, c'est autre chose (à trier parmi les énormités que je vais sortir.)

D'abord sur le strict plan pictural on crie au génie (si si.)

Si l'image semble statique dans un premier temps, on se rend vite compte que le jeu de diagonales qui rythment le tableau suit le mouvement esquissé par la jeune femme, les bras de l'homme, le creux de la manche, l'étole bleue. Ce jeu est pondéré par deux horizontales (la limite de la chemise et de la robe) nous offrant joyeusement la paire de seins de la ribaude - car ribaude il y a - sur un plateau. Des procédés rythmiques et libineux qui structurent la toile : voilà le vieux pot où l'on fait encore les meilleures pubs.

Par contre, on remarque une libération de certaines conventions. En général, en peinture, les couleurs froides sont en arrière-plan, facilitant l'effet de profondeur. Or, ici, les couleurs froides (bleu, blanc et vert), sont au premier plan les couleurs chaudes en fond (rouge et brun.) On s'écarte aussi de la tradition vénitienne : la lumière chaude et blonde des vénitiens, on se la met où je pense, et on se rapproche du Caravage.

Jetons aussi un regard ému sur la perfection des drapés.

C'est fait ?

On reprend.

''La jeune femme à la toilette" - Titien nous prend carrément pour des quiches - c'est une Marie-Madeleine, bien pompée sur celle de Quentin Metsys.

Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il y a eu du progrès technique en 50 ans! Côté iconographie, en revanche, c'est pas la révolution.

A quoi reconnaît-on Marie-Madeleine ?

Une belle mise, l'accent porté sur ses cheveux (un roux incendiaire pour l'une, le fameux blond vénitien pour l'autre, une ondulation voluptueuse pour les deux) et sur le parfum, puisque c'est ainsi qu'elle a lavé les panards du Christ. C'est sur ce plan que le Titien improvise, intelligement d'ailleurs.

Tout part de la fiole de parfum. Chez Metsys, elle est ouverte et représente l'acceptation du Christ et l'ouverture à la foi.

Chez Titien, la fiole fermée devient une ode à la vanité.

La jeune femme se pare, entourée de miroirs. Elle se regarde aussi bien de face que de dos. Le jeune homme, lui, la dévore des yeux. Le spectateur, enfin, voit tout grâce à

l'oeil de sorcière.     

 Mademoiselle se retrouve le point de mire de tous, c'est son boulot, elle sait ce qu'elle fait. A travers le parfum au couvercle fermé, le Christ est prié de fermer son clapet. Elle est belle, elle le sait, et elle va en jouer.

Ca, c'est le Titien tout craché : la femme qui connaît sa beauté, en joue, et ne boude pas son propre plaisir, ça vous dit quelque chose ? 

Il suffit de voir la Vénus d'Urbin en pleine séance de... enfin bref !

Mais revenons à Madeleine.

On est content de la voir, la charmante demoiselle à l'aisselle aguicheuse, mais elle pour qui qui c'est qu'elle fait ça ?

Elle est désirée, désirable, d'autant plus qu'elle désire le jeune gandin à l'arrière. L'allumeur, au final, c'est lui (soit dit en passant, il me déplaît pas.) Il enveloppe littéralement son amante, approche au maximum son visage du sien et lui tient galament les miroirs.

Et surtout, surtout : il est vêtu de rouge - la tentation, c'est lui.

Pour elle : du blanc, du bleu, la pureté de Marie démentie par les poses.

Elle n'a d'yeux que pour elle-même, c'est certain... mais ne désire-t-elle pas celui qu'elle fait mine d'ignorer ?

J'ai rempli mon office, je rends sa plume à la maîtresse des lieux.



02/01/2010
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