Libre comme l\'Eire

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THE ARTIST: SILENCE, MOTEUR, REFLEXION

The Artist donne envie de revoir Les Feux de la rampe et Les Lumières de la ville, il donne envie de sourire, de se promener, même sous la pluie, d'aborder une inconnue et de l'inviter à la danse. Il donne envie de revenir aux sources du cinéma, comme certaines pièces donnent à voir l'essentiel du théâtre.

 

Hommage à Chaplin, à Orson Welles, aux grands classiques avec ou sans paroles, The Artist est une vraie réussite.

 

 

 

 

 Une fois vue la bande-annonce, on connaît la trame, qui paraît bien mince mais ne l'est pas tant que ça. La trame, surtout, n'est pas l'essentiel: il s'agit moins de ce qui est raconté que comment les choses sont dites, en images et en musique.

 

 

CHAPLIN ET LE PARADOXE DU CLOWN TRISTE

 

 

 

La trame a été critiquée par la presse, dans les rares papiers qui n'ont pas apprécié le film. Cependant, dans The Artist, les rôles sont inversés par rapport à la plupart des intrigues que l'on nous sert d'ordinaire au cinéma. Prenez le mythe de Pygmalion ( pour un article détaillé sur la question, cliquez ici) Il s'agit tout d'abord d'un sculpteur épris de sa création, puis d'un grand professeur épris de la jeune femme sans éducation qu'il souhaite façonner dans la pièce de Shaw. Repris dans My Fair Lady comme dans Pretty Woman et maints teen movies, le grand monsieur sortant une demoiselle du ruisseau avant d'en tomber amoureux est une intrigue usée jusqu'à la corde, et qui pourtant, continue de faire recette, .

 

Dans le film de Michel Hazanavicius...

 

 

 

- Votre mission, si vous l'acceptez, est d'écrire plusieurs fois le patronyme dans cet article, sans commettre d'erreur.

 

 

Merci, Shandy. Dans le film, disais-je, la tendance s'inverse: c'est la jeune femme qui s'efforce, à bout de bras, de sauver un homme de la ruine complète. On se rapproche davantage de l'intrigue des Feux de la Rampe même si, chez Chaplin, l'homme et la femme se sauvent l'un l'autre.

 

Calvero le clown raté redonne le goût de vivre à une jeune danseuse convaincue d'être infirme.

 

 

 

 

Elle tentera à son tour de sortir le clown triste de sa mélancolie profonde:

 

 

 

Dans The Artist, Peppy Miller (la pétillante Bérénice Béjo) joue le rôle d'ange gardien auprès de George Valentin, ancienne star du muet dépassé par les fims parlants. Ce héros en chute libre est merveilleursement incarné par Jean Dujardin, bien loin de Brice de Nice, on l'en remercie. Si George révèle Peppy en se servant de sa notoriété dans la première partie du film, c'est elle qui le sauvera du pire au moment de sa déchéance.

 

Dans Les Feux de la rampe, Calvero ne fait plus rire personne et, dans ses numéros comiques, on pressent comme un drame. Chaplin, dans ce film-là, bouleverse autant qu'il fait rire. Or, Geoge Valentin est drôle, très drôle même. Le petit chien contribue beaucoup à ce succès.

 

 

 

 

Davantage Tati que Chaplin dans les scènes comiques, Jean Dujardin explore un aspect de la comédie qui lui était jusqu'alors étranger. A l'heure où la scène française est saturée de nouveaux comiques au one man show pas forcément convaincant, revenir à la simplicité - et parfois la poésie - des gags visuels représente une vraie bouffée d'air frais.

 

 

L'ESPRIT D'ESCALIER : CLINS D'OEIL EN NOIR ET BLANC

 

 

 

Le héros devient touchant dans son orgueil blessé. Dans une scène où il fait face à son portait, on reconnaît le mouvement de caméra d'une scène-clé de Citizen Kane.

 

 

 

 

Parlons donc de la réalisation, puisque c'est elle qui porte le film parmi les meilleurs cette année, et lui a valu des salutations à Cannes.

 

L'allure des deux héros est soignée: Jean Dujardin adopte un sourire à la Gene Kelly et la moustache de Clark Gable, Bérénice Béjo portela robe de Marylin.

 

 

 

 

 Certains clins d'oeil sont trop appuyés, comme l'un des films de Peppy, Guardian Angel, faisant référence au rôle qu'elle joue à l'insu de son aimé. La scène du film raté de George Valentin le montre s'enfonçant dans des sables mouvants, dans un parallèle un peu facile avec sa situation véritable. Cependant, cette mise en abîme - le "mauvais film dans le bon film"- permet de rendre hommage aux films de série B, dont l'intérêt tient justement au fait qu'ils soient ratés. On se souvient comment Burton avait réalisé un grand film sur le réalisateur le moins doué du cinéma:

 

 

 

 Apparemment, l'esthétique du noir et blanc dramatise une existence médiocre et la transforme en destin tragique.

 

 

Le noir et blanc se retrouve aussi en art. Dans une scène assez subtile, les héros se rencontrent alors que la carrière de George dégringole et que Peppy est pleine ascension: la scène se déroule dans un escalier. Quand Peppy se tient sur une marche supérieure, George est déjà sur la pente descendante. Je ne trouve pas l'image en question, mais j'ai trouvé celle-ci:

 

 

 

 

 Escher, "A house of stairs"

 

 

 Et surtout celle-là (le film est en couleurs) :

 

 

Dans Fenêtre sur cour, Hitchcock nous plaçait déjà en voyeurs, dans une autre mise en abîme : le voyeur (spectateur) adopte la perspective du voyeur (personnage) dans une réflexion méta-cinématographique (quand le cinéma s'analyse lui-même.)

 

 

 

FRANCHIR LE MUR DU SON

 

 

 

Le mot théâtre vient du grec thea: la vue. Les premières pièces, en Grèce Antique, étaient muettes. Le cinéma, à l'origine, n'était qu'image, et c'était déjà fabuleux.

 

The Artist offre une réflexion sur le cinéma d'aujourd'hui. Sous ses airs désuets, il pose des questions très contemporaines sur ce qu'il faut montrer à l'écran, ce qu'il faut suggérer, le rôle de la musique et la valeur des mots. Les films hollywoodiens d'aujourd'hui sont saturés de son: fusillades, course-poursuite en voiture avec gyrophare de la police et explosions en tous genres.

 

Adepte de Woody Allen et de ses loghorées (longs discours) brillantes, j'avais oublié à quel point le cinéma pouvait se passer de mots. Moi, l'écrivain, le professeur de langues, j'en suis venue à penser que le cinéma, souvent, en disait trop. Les plus grands réalisateurs sont avares de mots: Hitchcock nous fout la trouille avec une porte fermée, Les dialogues de Carné sont parcimonieux et poétiques, Cocteau fait un gros plan sur le visage d'un poète, et voilà qu'il nous parle sans le son. Les grands cinéastes, tout comme les grands auteurs, montrent sans démontrer. Un regard entre un homme et une femme ne suffit-il pas à montrer qu'ils se plaisent? Que faut-il de plus qu'un regard furibond pour signifier la jalousie?

 

 

Dans une scène onirique étonnante, George, fervent défenseur des films muets, se promène dans un cauchemar saturé de sons. Choisir de tourner The Artist comme un film muet rend au son et à la parole une valeur presque sacrée. Ici, on économise, on ne gâche pas ses mots. Chaque son est étudié. La contrainte pousse le réalisateur à devenir plus imaginatif. Il doit épurer les dialogues, aller à l'essentiel, en somme, ne rien montrer de trop. Mission étonnante dans un cinéma contemporain qui a plutôt tendance à tout montrer, des scènes d'amour aux scènes de meurtres.

 

 Mais les films muets, s'ils sont privés de parole,  sont emplis de musique. L'occasion pour cette oeuvre à l'esthétique rétro de nous servir une BO formidable, avec paroles, d'ailleurs,

 

 

 

ou sans...

 

 

Référence aux BO de Jacques Tati, aux années folles du jazz et du swing et aux morceaux qui ont fait les beaux jours de Glenn Miller et des Andrews sisters, la BO de Ludovic Bource sait rendre hommage aux "oldies" d'une manière subtilement novatrice.

 

Bref, allez voir The Artist. Après la projection, vous aurez envie de vous cacher sous un siège du cinéma pour assister à la séance suivante.

 

 

 



30/10/2011
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