MARION
Maréchal, nous voilà. La chanson patriote et immonde résonne quand j'entends le nom de la jeune députée.
À quoi a ressemblé l'enfance d'une petite fille portant deux noms exécrés par les démocrates ?
Comment se comportaient avec elle ses camarades, dans ce cocon que l'on a conçu pour elle, empli de chevaux blancs et de manteaux d'hermine ?
Marion. Vingt-deux ans. Elle pourrait être mon étudiante. La traiterais-je différemment des autres ? Eprouverais-je face à elle une peur panique ? Saurais-je la voir seulement en sa qualité d'étudiante, ou est-ce que ses discours viendraient polluer mon jugement ? Pourrais-je corriger sereinement ses copies, sans les donner à un collègue pour me dédouaner ? Si la copie est brillante, serais-je plus sévère ? Si elle est médiocre, baisserais-je la note de manière plus sèche que pour ses camarades ?
Si ses idées m'étaient inconnues, je la trouverais jolie dans toute la force de son jeune âge et de sa conviction. Mais l'ombre de sa tante se cache dans son discours, sa voix, sa posture, son attitude entière : même voix grave, même front soucieux quand elle s'indigne, même discours, écrits en grande partie par le patriarche.
Si Marion Le Pen tombait dans la rue, devant moi, aurais-je la force de la relever tout en foulant au pied ses idéaux ?
Si j'étais moi-même à l'Assemblée Nationale, la saluerais-je car elle est secrétaire et que je n'ai d'autre choix que la croiser ? Je suis quasiment sûre que je ne lui serrais pas la main. Mais le signe de tête... Faut-il refuser la présence de l'autre, la nier, commettre en somme le crime qui pousse au crime, nier l'existence de l'autre pour mieux l'exterminer ? Le ferais-je ? Passerais-je près d'elle comme Copé, sans la saluer et dans un mépris ostentatoire, ou ferais-je comme Guaino, lui serrer la main et regarder ailleurs comme pour oublier l'incident ?
Que ferais-je ? La question me taraude aujourd'hui. Et une autre m'angoisse :
Que fera-t-elle ?