Libre comme l\'Eire

Libre comme l\'Eire

LES MAISONS VANILLE-FRAISE

Lorsque le bus me depose a Sandymount, mon petit plaisir consiste a descendre un arret plus tot, et marcher le long de la plage jusque chez moi. C'est un peu dangereux : je risque d'y passer un temps appreciable. Ce fut le cas ce soir. Dans le crepuscule lumineux, la lune presque pleine se refletait dans les eaux claires telle un phare phantomatique, guidant les poetes et les voyageurs. Le phare scintillait dans le jour declinant, le ciel s'illuminait d'etoiles plantees au sol pour eclairer le chemin des promeneurs.

Partout ou je vais, je cherche a m'arreter a ce que j'appelle "the perfect spot." Dans le Yorkshire je m'asseyais face a cette riviere en cascade ou coulaient mes lectures.

A Strasbourg, le long de la Petite France, je contemplais des cygnes amoureux

A Paris, enfin, je passais un temps infini dans une librairie sans age dont je parlerai sans doute dans un prochain chapitre

- Tu n'as pas envie d'une petite digression ?

- Non, Shandy. On n'a pas le temps.

- Ah.

Je m'asseyais a l'etage de cette librairie, sur un lit reserve aux etrangers de passage, qui travaillaient deux heures par jour pour le vieux George en echange d'un lieu ou dormir. C'est une librairie dont les fondations, les murs et le toit sont faits de livres, de poussiere et de temps arrete. Comme j'aurais aime y dormir, dans cette maison ouverte aux voyageurs, a tous ceux qui n'avaient pas de toit a Paris ! La librairie m'accueillait jusqu'a minuit, dernieres pages d'un livre avant le dernier metro, dernieres fraicheurs nocturnes avant celle du matin.

J'ai une chance inouie cette annee, car j'ai trouve tout de suite mon "perfect spot."

A Sandymount, les maisons multicolores rappellent tour a tour Murano, pres de Venise

les rues de Galway

ou les ruelles de Colmar

toutes ces villes, en somme, ou les couleurs se cotoient sans jurer les unes avec les autres.

Dans le crepuscule, face a la lune, je decidai de m'asseoir devant les maisons vanille-fraise.

- Une petite digression sur la vanille, hein ? explique donc pourquoi la vanille est meilleure que les autres parfums...

Je m'y attendais. Tu n'y es pas du tout, Shandy. Quand je parle des maisons vanille-fraise, j'evoque deux maisons jumelees, le long de la plage. L'une a la devanture creme (ici, on dirait "custard", fort mal traduit en France par "creme anglaise," qui n'a strictement rien a voir, ni au gout, ni a la texture.)

- Moi, plutot qu'une longue parenthese, j'aurais ecrit une courte digression.

- Je sais, je sais. Mais on n'a pas le temps.

- Ah.

L'une des maisons, donc, est couleur custard, et l'autre est couleur de fraise.

- C'est fini, oui ?

- Les fruits rouges, l'ete, une maison en forme de fraise, un petit detour par Hansel et Gretel, hein, hein ?

- Non, Shandy, une autre fois.

- Ah bon.

Mon lieu de predilection cette annee, donc, les maisons vanille-fraise. Comme le soleil a la bonne idee de se lever a l'Est, il se leve sur la mer, juste devant ces deux maisons. Et devant ces deux maisons, il y a un banc.

- Un peu de Brassens et de ses bancs publics, alors ?

- Cesse de m'interrompre, je ne sais plus ou j'en suis.

- Tant mieux, c'est dans ces moments-la que viennent les meilleurs textes.

-  Mais tu l'auras, ta digression, puisque du crepuscule je m'en vais parler maintenant de l'aube...

- Ta niece, ton Aube ! excellente digression !

- Non. De l'aube a ma fenetre qui n'est pas encore la et que je m'en irai voir dans une heure, sur la mer.

- Dans une heure ? Ca nous laisse le temps...

- De se dire au revoir, Shandy, jusqu'au prochain chapitre.

- Ah bon.



04/09/2009
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