Libre comme l\'Eire

Libre comme l\'Eire

LE SYNDROME CENDRILLON

 

Quand j'étais mome, mon jour préféré, c'était le mardi. Il y avait dessin et musique à l'école et, au soir, je rentrais chez moi la joie au coeur a l'idée que mon père me raconte une histoire.

 

Il n'en connaissait pas beaucoup. Ca se jouait souvent entre Blanche-Neige et Cendrillon. C'est ma tante, en m'offrant mon premier livre de contes, qui m'a ouvert les portes de la lecture.

 

Mais avant le papier, les images, c'etait la voix du père, toujours au même rythme, qui racontait l'histoire de l'une des deux jeunes filles, toutes deux pauvres et belles, maltraitées par une marâtre, sauvées par le baiser du prince.

 

 

Ainsi se forge dans l'esprit des petites filles le destin attendu : être belle et vertueuse et attendre sagement qu'un homme vienne les réveiller.

 

 

Mais le moment qui suscite le rêve, ce n'est pas le baiser, c'est l'avant. Quand la chère petite laisse derrière elle ses guenilles pour enfiler la robe de bal.

 

On ne mesure par l'influence des contes sur les enfants. Burton a été traumatisé par Bambi. Les petites filles qui entendent Cendrillon sont invitées à se rêver en jolie robe avant d'epouser un homme riche.

 

Mon père disait aussi : " Chacun son tour d'aller au bal." Et l'on attend son tour, cet instant suspendu ou les regards se tournent vers l'ancienne souillon devenue princesse:

 

 

 

Je suis devenue jeune fille, jeune femme, et j'ai l'impression, de cassettes video en salles obscures, de livres roses en DVD, que l'on me conte sans cesse la même histoire. Vous savez, ces films ou l'on connait la fin des le début, qui se resume à la bande annonce, à l'affiche parfois ?

 

C'est le cas de She's all that (Elle est trop bien) Alors évidemment, on a remis le conte au goût du jour, on choisit un quaterback de l'equipe de foot, une nana intello, donc pas jolie, parce qu'elle porte des lunettes et se coiffe avec un rateau. Et soudain... la magie opère : elle ôte ses lunettes, se fait un brushing, et devient la reine du lycée lors du fameux bal... de promo.

 

 

 

 

Mais le jeune quaterback n'est jamais que le vague souvenir de Rex Harrison dans My Fair Lady : lui aussi parie avec l'un de ses amis qu'il changera une vendeuse de fleurs au fort accent cockney en femme du monde. La scène de bal, passage obligé, ressemble étrangement au Disney cité plus haut...

 

 

Mais le professeur de phonetique incarné par Rex Harrison n'est jamais lui aussi qu'une reprise d'un personnage de George Bernard Shaw (tiens, un irlandais !) dans Pygmalion.

 

 

Mais il faut remonter encore plus loin, a la mythologie grecque, pour trouver le premier Pygmalion. Un sculpteur créé une statue si belle qu'il en tombe amoureux. Il prie Vénus de donner vie a sa statue, et son voeu est exaucé.

 

 

 

Dans tous les cas, c'est l'homme qui façonne la femme a son gré. Il y réussit si bien qu'il en tombe amoureux. La femme, reconnaissante, lui rend ses faveurs et ils forment enfin un couple harmonieux.

 

Revenons a nos jours, dans des versions edulcorées du mythe grec ou de la pièce irlandaise.

 

Oubliant l'homme revelateur de beauté féminine, l'on voit souvent une jeune fille mal dans sa peau se transformer du jour au lendemain grâce à une nouvelle garde-robe et coiffure, offertes par quelque bonne fée. C'est le cas dans She's Out of Control (Touche pas a ma fille) film sucré des annees 80 :

 

 

Dans ce film et beaucoup de ceux qui ont suivi, le message est simplifié a l'extrême, mais a l'avantage de révéler la dimension sexiste de l'idéologie sous-jacente:

 

 

La "nerd" comme l'appellent les anglophones, rat de bibliothèque, sans maquillage et aux vêtements trop larges, s'intéresse davantage aux chenilles qu'aux papillons. Jusqu'à ce qu'elle devienne papillon. Une manière simple de dire aux adolescentes que si elles veulent être aimées, il faut mettre de côté les livres et se consacrer au shopping, pour ressembler a un idéal feminin ou plutôt, à un fantasme masculin de la femme, enfin soumise au désir.

 

Ce qui m'amène au cas de Pretty Woman, prostituée, elle aussi sortie du ruisseau par un homme riche. La séance de shopping où les vendeurs sont aux pieds de la prostituée est censée faire jouir le public féminin. Or, Les vendeurs sont surtout aux pieds de l'homme qui tient la carte bleue. L'orgasme arrive lors de la revanche contre deux vendeuses de Beverly Hills qui ont méprisé la fille de joie, et accueillent tout autrement la femme du monde...

 

Pretty Woman before :

 

 

Pretty woman after :

 

 

Tiens tiens... Before / After. L'avant/Apres, on le retrouve dans des emissions de télé dites de "relooking"...

 

 

où dans un personnage de série, Ugly Betty (Betty la moche, hum) qui contraste joliment avec l'actrice "au naturel"

 

 

Lunettes, cheveux trop longs, appareil dentaire, frange qui devore le visage, vêtements Deschiens. Ce type de série, d'émissons et de films contribuent a la diffusion de clichés sur la beauté, mais également la laideur. On appelle sans doute dans les cours de récré de nos jours la petite nana "pas belle" Ugly Betty...

 

J'aimerais conclure en disant que le syndrome Cendrillon n'a eu aucun effet sur moi. Je me maquille rarement, je porte des chaussures d'homme et j'ai gardé mes lunettes. Mais au fond... est-ce que j'échappe au cliché, au souhait même, planté dans mon crâne depuis l'enfance, d'un homme qui me donne le goût de la transformation ?

 

Ne vois-je pas tous les jours des ados complexées de ne pas ressembler à quelque starlette retouchée, par le chirurgien et le photographe ?

 

Le secret, c'est peut-être la parodie. Mais une parodie de teen movies est souvent proche, hélas, de l'original, si ce n'est qu'elle revendique son sexisme. Voici Not Another Teen Movie, parodie de She's All That.

 

 

M'enfin...

 

Le seul couple cine qui me donne espoir, c'est celui-là...

 

 

 

... pied de nez, justement, à la beauté version Disney.



13/08/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour