Libre comme l\'Eire

Chopin m'appelle et m'apaise, au premier étage d'une librairie dublinoise. Le piano maîtrisé m'évoque le roman de Duras que je viens de lire avec perplexité.

Enième portrait d'une bourgeoise malheureuse, énième peinture acide de son monde étriqué. Anne Desbaresdes a la Nausée de Sartre et des répliques a la Beckett.

  Et moi de penser aux Emma Bovary quotidiennes.

Catherine Lenôtre a le sourire des femmes malheureuses. Peut-être manque-t-elle d'amour. On admire son élégance et sa tenue. Elle a un sourire d'un désespoir charmant. Elle a le sourire des dames de sa condition; celui, un peu figé, des jeunes vieilles filles, à qui Maman a enseigné comment faire bonne figure. Catherine Lenôtre a la démarche mondaine, le sourire éternel, fatigué. Elle a les jambes arquées des femmes trop grandes. Longue tige plutôt que belle plante, elle a la coquetterie fanée de celles qui soupirent après l'amour.

  Il y a chez les Catherine Lenôtre une nervosité proche de l'hystérie. C'est qu'elles ont appris, dès le plus jeune âge, à bannir la moindre fausse note de leur partition.

Moi, l'Insolente, je m'en amuse. J'observe ces femmes étouffer dans leur corset, mon sourire à moi se teinte de compassion. Je ris trop fort et j'ai le regard franc. En retrait, je les regarde.Quand leurs yeux se posent sur moi, les mieux habituées à tolérer l'éléphant dans la pièce me considèrent poliment.

D'autres ont comme un mouvement de recul. Je sautille parmi ces fleurs séchées comme le criquet de leur mauvaise conscience.

Chez les jeunes filles, le regard se fait plus dédaigneux, de mes cheveux en bataille à mes chaussures d'aventurière.

Il m'est arrivé de les envier. Ce sentiment est vite chassé par une nausée à leur rire bien-pensant.

Sont-elles heureuses ?

Disons qu'elles jouent toutes le bonheur de la même manière. Et sous ce masque lisse leur âme appelle à l'aide.