Libre comme l\'Eire

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LE RAVISSEMENT D'ALBERTINE

Il est des cadeaux qui provoquent enchantement et stupeur. On ouvre le paquet, déjà trop joli pour être ouvert, et on découvre une théière vert pomme, qui sourit presque, avec sa anse en bambou. On la baptise Albertine, on écrit son acte de naissance, on remercie la tendre amie qui nous connait si bien. Mais la joie des premières secondes est vite submergée par une angoisse terrible : comment égaler le ravissement d’Albertine?

Impossible, mieux vaut ne rien tenter, et arriver les mains vides, comme un vieux rat.

 


 

-         Ah non. Il faut offrir quelque chose à Lola, me souffle Shandy, mon fidèle conseiller.

-         Je déteste offrir des cadeaux aux gens que j’aime. Ils sont trop durs à choisir. Comment satisfaire quelqu’un qui connaît si bien la carte de mes plaisirs ? comment émoustiller son intérêt, lui dire en un cadeau à quel point…

-         Assez de discours ! tu n’as qu’à lui offrir, toi aussi, une théière.

-         Mais Lola ne m’a pas offert une théière. Elle m’a offert la théière. Une théière qui me ressemble. Je veux dire par là qu’elle est colorée, charmante et susceptible.

-         Ah… et il est si difficile de trouver pour Lola une théière qui lui ressemble ?

-         Il la faudrait petite, brune et révoltée.

-         …

 

Il m’a donc fallu trouver autre chose. J’ai pensé à plusieurs cadeaux, mais aucun ne collait.

-         Des roses ?

 


-         Trop cliché.

-         Un roman victorien ?

  

  

-         Trop chiant.

-         Un  yacht ?

 

 

 

-         Trop sarkozyste.

 

Un cadeau pour la meilleure copine ? Une vraie galère.

Pour égaler (je ne dis pas surpasser) le ravissement d’Albertine, il fallait…

 

Je partis d’abord en quête d’un pull. Vous avez entendu, un pull, un chandail, un tricot. Un vrai cadeau de mère juive. Un chandail bien chaud pour les nuits d’hiver, aux couleurs chatoyantes, facilement repérable dans une garde-robe noire.

 

La quête fut difficile. Trouver un pull chaud de nos jours, c’est comme trouver un grand auteur : on doit chercher longtemps. Des pulls manches courtes, trop longs, trop petits, avec des défauts, et des couleurs à enchanter un dépressif.

 

Me vint ensuite une idée lumineuse : j’allais offrir à ma bibliothécaire en herbe un livre sur les bibliothèques. Quelle ne fut pas ma joie, quand je découvris qu’un tel livre existait : un livre d’art sur les plus belles bibliothèques du monde.

 

 

La Fnac des Halles ne l’avait pas. Aucune Fnac, d’ailleurs. Gibert Jeune non plus. Je montais sans grand espoir le boulevard St Michel vers Gibert Joseph.

 

Ils en avaient un exemplaire !

 

Je me précipitai au 4ème étage, et m’approchai, pantelante, d’une jeune vendeuse. Elle partit chercher le précieux ouvrage. J’attendis deux minutes, puis cinq, puis dix. Ils avaient l’ouvrage, cela ne faisait aucun doute, disait-elle. Mais une erreur de rayonnage faisait qu’on ne le trouvait plus. Je me mis à chercher à mon tour, dans le rayon bibliophilie, livres anciens, histoire du livre, livres sur les livres. Rien.

 

De retour chez moi, j’explorai les limbes d’internet. Le livre était beau, en effet, avec des photos de bibliothèques splendides, du Vatican aux Etats-Unis, en passant par Paris et Londres. Il en restait un exemplaire, neuf, sur un site. Mais j’étais pressée, et il fallait le faire livrer en express. Je vis le prix final : le yacht aurait coûté moins cher.

 

Voilà donc la triste vérité : Lola n’aura pas de cadeau. Elle se contentera de mon irremplaçable personne.

 

Après tout, ce n’est pas si grave. J’ai trouvé le cadeau de Gérard.

-         Tu veux parler des chocolats ?

-         Oui.

-         Du moment que tu ne lui racontes pas ce qui est arrivé au Ballotin n°1.

 

 

 

 

-         C’est pas ma faute. Tous les chocolats me plaisaient, à part ceux au café. Ceux-là, je les ai laissés à Guillaume.

-         Et tu ne mentionneras pas non plus les tablettes éclectiques ?

 

 

 

 

 

-         Bien sûr que non. Remarque, l’idée n’était pas mauvaise. Prendre plusieurs tablettes, chocolat noir, blanc, au lait, pâte d’amande, avec ou sans noisettes… le problème, c’est que j’ai passé une journée, une soirée et une nuit, avec Daniel Pennac.

 

 

 

-         Ce doit être un sacré gourmand, ce Daniel.

-         Absolument. C’est lui qui a tout fini.

-         Pas de chocolats pour Gérard, alors ?

-         Si. J’en achèterai une dernière fois juste avant de me rendre au dîner, en espérant qu’ils survivront au voyage en métro.

-         Et pour Sylvette ?

-         Du thé. Je pensais que c’était plus simple, le thé. Mais Albertine m’a fait une scène.

-         Pourquoi ?

-         Je lui ai dit que ce thé était réservé à une autre. Elle me fait la gueule depuis.

-         Enfin tout va bien. Tu vas dîner, tu as un cadeau pour tout le monde…

-         Pas pour Lola.

-         C’est vrai. A moins qu’un cadeau ne tombe du ciel.

-         Nous verrons bien…

 

 



02/01/2011
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