Libre comme l\'Eire

Libre comme l\'Eire

LA TAMBOUILLE

Page blanche. Que faut-il écrire ?

 

C’est bon de retrouver le clavier. L’inspiration avec lui, peut-être. Soirée en solitaire. Rappel des années de jeunesse ou je dinais d’un rien. Ou la Sorbonne, mon horizon, ma vie, était ma deuxième maison.

 

 

 

 

Silence dans l’appartement, grouillant a l’ordinaire de paroles et d’accents. Le monde entier sous un seul toit. La tambouille. On partage des soupes comme autrefois je partageais des pates au gruyère avec des amis de coeur. On trinquait à l’eau plate et on croyait en l’avenir.

 

Jamais aussi fauchée que ce soir. Sans travail, sans argent.

 

C’est l’auberge espagnole ma nouvelle demeure, mon château sans or, mon lit au baldaquin imaginé.

 

Savez-vous qu’en espagnol, on utilise le même mot pour « attendre » et « espérer » ?

 

Esperar

 

J’attends. Comme toute cette population au chômage qui souhaite que la chance tourne. J’attends. C’est une torture un soir, un exercice de sagesse le lendemain. Promenade dans le parc, les bonheurs simples sont gratuits. Free en anglais, c’est aussi l’adjectif de l’homme libre.

 

 

Chercher du travail sans en trouver. Subir maintes humiliations, éviter les cafés, fuir les restaurants, oublier le pub du vendredi. Ne plus oser voir les anciens collègues, parce que c’est la rentrée et que je suis prof au chômage. Mes étudiants me manquent. Alors j’en vois certains en cours particuliers qui me payent la tambouille.

 


 

Et cette idée crasse qui englue l’esprit, l’idéologie dominante qui répète que les gens sans travail n’en cherchent pas vraiment. Assistés, paresseux, parasites. En linguiste appliquée, je décompose depuis des années le discours sarkozyste. Ses paradoxes, ses absurdités, son injustice, sa mauvaise foi. Mais les mots sont puissants, et les incohérences répétées mille fois donnent l’illusion de l’évidence. Le verbe de droite m’a contaminée.

 

Mais ce soir, je suis espagnole. J’habite avec une polonaise et une italienne qui partagent leur appart avec des potes en galère.

 


 

Cette chaleur-la me sauve du froid au dehors et d’une solitude trop lourde. La tambouille partagée. Le sentiment d’être privilégiée, car vivre ces aventures me permet d’écrire. L’essentiel.

 

Mes étudiants les mieux lotis, professionnels ou retraités, m’offrent souvent le thé. Les autres m’offrent une jeunesse qui m’emplit l’encrier.

 


 

La galère, mais pas le malheur. Sans argent, mais riche d’amis qui font de la place quand il n’y en a plus. Me croirez-vous si je vous dis que je suis heureuse ? Les heures ou je pleure de n’arriver a rien sont vite remplacées par des matins d’herbe coupée ou je me dis que le meilleur est a venir. Les questions matérielles m’angoissent moins que le vertige existentiel qui me tuait jadis. L’ennui a Colmar, la rage à l’IUFM, l’impuissance dans l’Education Nationale. J’ai retrouvé ma terre et elle me fait du bien. Le trèfle brille tout de même. Des amis me soutiennent, les irlandais ont cette solidarité au cœur qui manque à leur système.

 

Il me reste ma jeunesse, mon courage et mon intelligence. Le reste est une affaire de temps.



01/10/2010
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