Libre comme l\'Eire

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LA DICTATURE ET SON VOL DE MORT : LE CÔTE OBSCUR DE HARRY POTTER

 

 

 

 

 

 

 

Simple série de livres pour enfants ? Pas sûr.

 

 

 

Je parle dans cet article des sept volumes de Harry Potter. Je ne veux gâcher le plaisir de personne: si vous souhaitez découvrir l'intrigue dans les livres publiés ou les films sortis en salle, mieux vaut ne pas lire ce qui suit.

 

 

Harry Potter, comme Star Wars, autre immense succès au cinéma, établit un parallèle entre l'univers qu'il propose et la Seconde Guerre Mondiale. Dès le premier volume, il est question des "pure blood" (sang pur) et des "mud blood" (sang de bourbe, au sens littétral "sang de boue," injure réservée aux sorciers dont les parents ne sont pas magiciens.) La boue, c'est le mélange de la terre et de l'eau, considéré comme sale et déplaisant. La bourbe évoque en plus, par métaphore, "ce qui est vil, bas, abject." (dictionnaire de l'Académie Française)

 

Ce racisme entre sorciers s'inspire largement du racisme d'un autre temps.

 

La comparaison s'impose entre Voldemort et Hitler. Les deux dictateurs revendiquent la supériorité d'une race, massacrant tous ceux qui n'en font pas partie, et avec eux leurs défenseurs et les opposants au régime. Hitler a dressé un portrait idéal de ce que l'homme aryen devait être: grand, blond aux yeux bleus et bien bâti. Ca ne l'a pas empêché d'être petit, brun et gringalet. Voldemort, s'il s'érige aussi en chef d'une "race pure"  faite uniquement de sorciers, n'est autre qu'un "prince de Sang-mêlé," né d'une sorcière et d'un Muggle (Moldu) humain comme vous et moi, c'est à dire sans pouvoirs magiques.

 

 

 

COLLABORATION ET RESISTANCE

 

 

 

On remarque des relents de dictature dès le premiers volumes, dans les répliques de la famille Malfoy, au look très aryen d'ailleurs.

 

 

 

 

 

Mais JK Rowling ne tombe pas dans le travers manichéen. Ce qui caractérise les Malfoy, c'est moins un fanatisme meurtrier qu'une lâcheté opportuniste. Ils incarnent à merveille ces collabos venus caresser le pouvoir par idéologie, mais surtout par intérêt. Ni Draco Malfoy ni sa mère ne dénoncent Harry dans le dernier épisode: des méchants pas salauds, qui auraient pu être attentistes, mais se battent peut-être aux côtés de Voldemort  pour sauver leur peau.

 

Cependant, on rencontre des tortionnaires dans Harry Potter. C'est le cas de Bellatrix Lestrange, que vous apercevez ici au premier plan, tout près des Malfoy.

 

 

 

 

Mrs Lestrange est célèbre pour avoir torturé à mort les Longbottom (Longdubas), anciens résistants. En effet, qui dit dictature dit réseau de résistance, ici appelé l'Ordre du Phénix.

 

 

 

 

Il manque un personnage. Il devrait apparaître sur les deux photos et n'apparaît nulle part. C'est l'espion, l'agent-double, l'étonnant Severus Snape (Rogue)

 

 

Onomastique d'abord: Trois S pour un seul homme, c'est dire l'ambiguïté du personnage. Le nom Snape se rapproche de Snake (le serpent, emblème de Voldemort doublé de son animal de compagnie.)

 

Pas étonnant que Snape soit le chef de Slytherin (Serpentard), la maison de Hogwarts qui fleure bon le soufre. Elle accueille les sorciers susceptibles de céder au Côté Obscur, mais qui pourraient aussi, à l'exemple de Snape, se servir de leur ambivalence pour combattre l'ennemi. "To slither" en anglais désigne les ondulations du serpent, le glissement, et toute mouvance en terrain instable. En somme, Snape de Slytherin aura toujours du mal à savoir de quel côté il penche.

 

N'oublions pas ses traits de caractère. Là aussi, tout est dans le nom. Severus se révèle assez net, et Snape n'est qu'à une lettre de Snap, qui signifie parler sèchement, interrompre la parole de méchante façon. Ca colle assez bien au personnage.

 

Snape joue donc un double jeu. Jusqu'à la fin, on ignore s'il se bat au service du Seigneur des Ténèbres ou du côté des résistants, en particulier car il fait partie des Death Eaters (MangeMorts) soldats au service de Voldemort.

 

 

MASQUES ET SILENCE

 

 

 

Le lecteur rencontre les Death Eaters pour la première fois au quatrième volume, drapés de noir et portant des chapeaux pointus. Cette tenue n'est qu'une version en tissu noir de la tenue du Ku Klux Klan. Un  internaute en a d'ailleurs publié un savoureux montage:


 

 

LES MANGEMORTS

 

Nous sommes racistes, masqués, et on porte des chapeaux pointus.

 

Rien à voir avec le Ku Klux Klan !

 

 

En parlant de masque...


 

 

 

Ca ne vous rappelle rien, amis cinéphiles ?

 

 

 

Eh oui, les Death Eaters portent des masques de forcenés. Et pour cause. Ils agissent aux ordres de Voldemort - Vol de mort - Grand oiseau semant la mort sur son passage.

 

Le masque de droite

 

 

évoque certains films d'horreur où l'on torture les gens en les privant de parole, mais nous rapelle surtout que l'impossibilité de s'exprimer est proportionnelle au joug d'une dictature.

 

 

 

 

 

 Cependant, l'oppression ne se montre pas toujours sous les traits d'un Death Eater. Elle peut même ressembler à une nanny anglaise.

 

 

 

 

Elle s'appelle Dolores Umbridge. Par son patronyme, déformation de l'anglais Umbrage, elle fait de l'ombre, va devenir l'agent de la suspicion, du doute et de l'hostilité. Hitler, Mussolini et Staline se sont fermement attaqués à l'éducation. Le bourrage de crâne idéologique passe d'abord par l'école. Mrs Umbridge devient enseignante à Hogwarts au cinquième volume, mais aussi l'inspectrice génrale. Elle représente, selon ses propres dires, "les yeux et les oreilles du ministre." Umbridge à Hogwarts marque l'arrivée de la dictature entre les murs de l'école. Dictatrice et didacticienne douce ou plutôt doucereuse, Umbridge travaille pour un Ministère collaborationniste. Son discours sonne dangeureusement réactionnaire, et les punitions qu'elle inflige aux élèves signent un retour aux châtiments corporels. Elle ne s'appelle pas Dolores pour rien ("Douleur" en espagnol.)

 

 

MINISTERE ET PROPAGANDE

 

 

Au septième volume, Umbridge occupe un poste à responsabilité au Ministère de la Magie, alors présidé par le bras droit de Voldemort.


 

 

Cliquez sur l'image et observez l'arrière-plan. On y voit des Muggles (Moldus) écrasés sous la pierre, image adéquate de la dictature. Le Ministère devient celui de la propagande, en éditant par exemple des tracts anti-Moldus:

 

 

Blanc, rouge et noir, couleurs du drapeau nazi. En rouge, une sorte de V renversé, initiale de Voldemort.

 

Zoom maintenant sur l'emblème d'un Minsitère de la Magie collabo (à gauche), venu remplacer le démocratique (à droite)


 

 

                       

 

La nouvelle devise

 

MAGIC IS MIGHT


LA MAGIE, C'EST LA TOUTE-PUISSANCE

 

interpelle forcément une lectrice d'Orwell:


 

 

 

 Ce slogan bref, imposé par un régime écrasant d'autorité, donne l'illusion de l'évidence. Il n'est pas sans rappeler les slogans du Parti Unique d'Océanie dans 1984:

 

LA GUERRE, C'EST LA PAIX

 

LA LIBERTE C'EST L'ESCLAVAGE

 

L'IGNORANCE, C'EST LA FORCE

 

 

Mais qu'en est-il de l'ancien slogan ?

 

 

IGNORANTIA JURIS NEMINEM EXCUSAT

 

IGNORER LA LOI N'EXCUSE PERSONNE

 

 

Ici, JK Rowling propose une reformulation du célèbre Nemo censetur legem ignorare - Nul n'est censé ignorer la loi. Cet adage est extrait de la loi des douze tables, l'un des premiers textes de lois de la République de Rome. La version de JK Rowling apparaît plus claire que l'original au lecteur d'aujourd'hui: en effet, l'adage latin n'exige pas de connaître par coeur les codes civil et pénal, mais déclare que nul ne peut se soustraire à la loi sous prétexte qu'elle lui était inconnue.

 

 Revenons aux deux emblèmes:

 


 

 

              

 

 

A gauche, le M doré rappelle la monarchie du Roi Soleil, M divisé en son milieu par une baguette magique. La baguette apparaît également sur le M de droite, qui repose sur la balance de la Justice, idéalement équitable, impartiale et égalitaire. Sous la dictature, la Justice a disparu, au profit d'une baguette toute-puissante atteignant le soleil.

 

 

 

 MAIN BASSE SUR LA PRESSE

 

 

La dictature réduit les opposants au silence, et prend contrôle de la presse. The Daily Prohet (La Gazette du sorcier), journal de référence dès le premier épisode, donne le baromètre de l'autorité du régime.

 

 

 

 

 

En gros titres : THE BOY WHO LIES ? (Le Menteur)

 

Jeu de mots sur "The boy who lived," périphrase désignant Harry Potter, le garçon célèbre pour avoir survécu à Voldemort.

 

A l'apogée de la dictature, la première page du journal arbore à nouveau une photo de Harry, alors fugitif:

 

 

 

 Il existe aussi une presse résistante: The Quibbler, journal à scandale, prend la défense de Harry Potter.

 

 

 

 

 Sur cette image, Luna Lovegood lit The Quibbler (Le Chicaneur), dont le rédacteur en chef n'est autre que son père, Xenophilius Lovegood. Dans le septième volume, il subit des pressions  pour avoir soutenu Harry Potter. Les fidèles de Voldemort vont jusqu'à enlever sa fille. Voilà son châtiment pour avoir "chicané." En effet, to quibble, en anglais, c'est chercher querelle ou la petite bête, discuter, pinailler, activité impossible sous un régime répressif.


 Enfin, n'oublions pas la radio résistante, émise en secret par des membres de Griffindor, hommage à la Résistance française de la part de JK Rowling.

 

 

DESOLATION ET VICTOIRE FINALE

 

 

 

Cette radio résistante donne des informations aux opposants au régime, notamment la liste des morts du jour. Car la dictature, c'est cela, des morts et des blessés, un Hogwarts dévasté, des cadavres d'étudiants parmi les décombres.


 

 

A ce moment, Harry Potter décide d'affronter son destin.

 

Dans la Forêt Interdite, les morts qui ont résisté l'aident à prendre courage. JK Rowling dépeint une victoire difficile mais solidaire, dans un décor sinistre où l'espoir jaillit, à l'instant où Dumbledore apparaît en Gandalf rassurant, lors d'une ultime rencontre avec le héros.  Nombre de résistants meurent, et l'on peut remarquer une série de sacrifices tout au long de l'intrigue: les parents de Harry se sacrifient pour lui, Dumbledore se sacrifie afin que Snape gagne la confiance de Voldemort. Enfin, Harry lui-même se sacrifie au nom de cette cause qui le dépasse, dans le but d'affaiblir l'ennemi.

 

Le dernier film possède une scène magnifique où Voldemort marche sinueusement parmi des cadavres, suivi de son serpent. Le final est spectaculaire et réussi, mais il aurait peut-être dû s'achever sur l'image de Harry, Hermione et Ron, debouts sur les décombres de Hogwarts. Hélas, l'épilogue proposé casse cette image résistante afin de rassurer le spectateur (était-ce nécessaire?) sur l'avenir des héros. Comme dans le livre, l'épilogue s'avère peu crédible et parfaitement inutile.

 

Allez voir le film, cependant, puisqu'il vaut le coup d'être vu, pour ses effets spéciaux et le plaisir de voir se dénouer en images les fils d'une intrigue complexe bâtie en sept volumes.

 

Chapeau bas à l'auteur, enfin, mais aussi aux réalisateurs qui ont su rendre avec justesse la magie de l'écrit.

 

 



06/08/2011
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