Libre comme l\'Eire

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L'HISTOIRE D'UNE MANGEUSE DE POMMES

Mon père a toujours détesté les pommes. En tarte, en compote, en gelée. En cas de salade de fruits, on voyait les quartiers de pomme former une jolie couronne sur son assiette. Dans l'enfance, je ne comprenais pas cette aversion pour les pommes. Jusqu'à ce que mon père me raconte Blanche Neige.

 

 

 

 



 
  J'ai revu la version de Disney, hier. D'abord, j'ai ete frappée par la qualité de l'animation, 24 images, donc 24 dessins par seconde, 60 secondes dans une minute, pour un film de 83 minutes, ça fait disons... beaucoup de dessins.

Ensuite, madeleine - ou plutôt pomme de Proust oblige -les chansons m'ont rappelé l'enfance, et les animaux humanisés de Disney m'ont presque fait pleurer d'émotion.



Dans ce film de 1937 (deux ans avant Le Magicien d'Oz, c'est vous dire si c'est vieux) on retrouve la tradition animée d'animaux charmants et charmeurs, comme dans les premiers cartoons.

Ah, la douce voix de Blanche Neige, et le gentil zoziau qui chante avec elle... Une voix qui, quand elle ne chante pas, semble réciter un discours dominant sur le rôle de la femme, confinée aux travaux domestiques: la cuisine et le ménage.

Il faut le reconnaître : cette mangeuse de pommes est franchement tarte.

Dans
la première scène, le prince vient chanter avec elle, dans un passage qui rappelle étrangement un autre Disney, où les animaux de la forêt, chantent  aussi en choeur avec l'heroine.

Dans les deux films, la jolie princesse s'endort et attend le baiser du prince.

Tout cela s'avère outrageusement sexiste.

Et l'alternative du destin mielleux pour la femme est incarné par l'autre femme.



Vous l'aurez compris : pour Disney, on est soit soumise, soit sorcière.
 
Avant d'être vieille mégère au nez crochu, la sorcière est une reine seduisante. Mais je n'avais jamais remarqué à quel point le coffret qu'elle donne au chasseur est effrayant :

 

 
Voyez comme le coeur embroché par une épée scelle le coffret réservé au coeur de Blanche Neige, dont la forme évoque déjà la pomme empoisonnée, que la reine concoctera dans une scène carrément flippante.
 
   
 
 La pomme est rouge, bien entendu. Dans la scène de Disney, le rouge contraste avec le vert du poison, car il s'agit de couleurs opposées sur la gamme chromatique : le rouge est une couleur primaire et ressort donc sur le vert, mélange de jaune et bleu.
 
Couleurs primaires que l'on retrouve dans la robe de Blanche Neige, et surtout dans le rouge des lèvres (comparées au sang dans le texte original) qui contrastent avec sa peau blanche, symbole de virginité.
 
La pomme est faite "pour tenter Blanche Neige." On pense  à la pomme d'Adam, qui d'ailleurs n'était pas une pomme, mais passons. En croquant la pomme, Blanche Neige semble répéter le péché originel. A la fois synonyme de passion, d'amour et d'érotisme, le rouge réveille chez le spectateur la sensation de danger (alerte rouge) et l'interdiction ou la limite à ne pas dépasser, dans le code de la route comme au football (le fameux carton rouge.) Ici, le danger est mortel, et le rouge de la pomme rappelle celui du bec des vautours guettant l'erreur fatale.   
 
 Selon Bettleheim, la pomme symbolise la sexualité, avant l'éveil par le baiser du prince.
  

                                  

 

 

  Leçon de prudence adressée aux enfants: ne pas ouvrir sa porte aux inconnus, ni accepter leurs bonbons (ou leurs pommes, au choix) de peur que...

  

 

  

 

 

 

Cette image me rappelle un autre film (sorti en 1931, soit six ans avant le Blanche Neige de Disney) justement sur un tueur d'enfants.

 

 

  

 

 

Dans M le Maudit de Fritz Lang, une balle roule, sortie d'un buisson, pour signifier qu'une petite fille vient de mourir.

 

Mais Disney offre une double lecture. Le film d'animation somme en douceur les jeunes filles de ne point goûter au fruit défendu avant la venue du prince, en d'autres termes de ne pas perdre leur virginité avant le mariage. Cela coïnciderait avec l'idéologie ultra-conservatrice de Disney depuis ses débuts. 

 

Enfin, je vais arrêter de parler de Blanche Neige, parce que ça me met hors de moi. Si jamais j'ai une fille, je ne lui raconterai pas Blanche Neige. Ni La Belle au bois dormant. J'eviterai de lui passer des Disney. Je préfère, côté contes de fées, Riquet a la houppe, hommage à la beauté interieure et à l'intelligence. Et pour ce qui est des aspirations féminines... J'éprouve un petit faible pour Yentl, qui se déguise en homme pour pouvoir étudier...



Mais ce n'est pas un conte, et il n'y a pas que les études dans la vie, surtout si elles sont religieuses.

 

Il y a bien La Belle et la bête, mais ce sacrifice de la fille pour son père, je ne sais pas si c'est le bon exemple a donner. Bref, c'est un vrai casse-tête.


 Que faut-il raconter aux petites filles avant qu'elles ne s'endorment ?
 
 



11/11/2009
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