Libre comme l\'Eire

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C'EST QUI, SHANDY ? LAURENCE STERNE EXPLIQUE A MA NIECE

Une fidele lectrice de ce blog m'a pose, sur mon e-mail personnel, une question capitale : "c'est qui, Shandy ?"

Je n'y avais jamais pense. Je parle de Shandy, de Sterne son papa, de mille choses en fait, qui echappent peut-etre a mes lecteurs.

Alors je vais faire comme si j'expliquais Shandy a ma niece, surnommee "mon Aube" dans mes textes.

Shandy est un personnage d'un livre etonnant ecrit au 18eme siecle par un anglais qui s'appelait Laurence Sterne.

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Pas d'inquietude si ca ne te dit rien, mon Aube. Shandy, a par ceux qui se sont bouffe le bouquin pour l'Agreg, de lettres ou d'anglais, peu de gens connaissent.

Moi par exemple, je me suis tape le bouquin en licence, et j'ai du le terminer pendant les vacances, en le prenant comme livre de chevet, car il s'agit d'un pave de mille pages. Puis je me le suis retape pour l'Agreg. Enfin je me le suis re-retape, car j'ai passe l'Agreg deux fois. 

Tristram Shandy, donc, Shandy tout court pour les intimes, est un personnage delirant qui raconte sa vie. Tout commence par sa naissance, d'un pere anglais et d'une mere francaise...

- Mais non, mais non ! tu dis tout de travers !

- Ah, c'est vrai, Shandy, ton autobiographie n'est pas une autobiographie comme les autres.

- J'aime mieux ca.

- L'histoire de Shandy, donc, ne commence pas avec sa naissance, mais avec ses parents en train de faire l'amour.

Eh oui, mon Aube, c'est un bouquin du 18eme siecle qui demarre avec un couple faisant l'amour. Le recit de Shandy commence avec sa procreation plutot qu'avec sa venue au monde, comme un livre germe dans le cerveau de son auteur avant d'etre ecrit.

En fait, le narrateur ne nait qu'au livre 3  

Apres avoir parle de son pere Walter, de sa mere Elizabeth, et de son fameux oncle Toby.

Le pere Walter est obsede par les prenoms, et en elabore toute une theorie. Il deteste par-dessus tout le prenom Tristram, triste prenom, reserve aux perdants, selon lui. D'ou son voeu d'appeler son fils Trismegistus.

Mais, obligee de retenir un nom si alambique, la bonne ne se souvient que de la premiere syllabe "Tris..." et le pretre, convaincu de bien faire, baptise le nouveau-ne (ou plutot enfin ne) au nom maudit, Tristram.

La naissance etant en soi une catastrophe, cela faisait deux ce jour-la pour ce pauvre Tristram.

- Hep, c'est pas vrai !

- Comment ca ?

- Il y en a eu plus que deux.

Ah oui, bien sur ! Ce furent trois catastrophes en un jour, car ce cher Shandy est ne entre les mains de medecins farfelus, utilisant pour la premiere fois des forceps. Sans le faire expres, ils lui ont coupe le nez.

- Coupe le nez ? demande mon Aube.

- Coupe le nez ! replique Shandy. Voyant le regard inquiet de ma niece, il s'empresse d'ajouter :

Mais pas d'inquietude, chere petite, cela aurait pu etre pire. Avec leurs forceps, ils auraient pu me couper tout autre chose. Enfin, cela a bien failli arriver a l'episode de la fenetre.

- La fenetre ? s'enquiert mon Aube.

- Eh oui. Quand j'etais petit garcon, la fenetre, telle la guillotine, qui a tranche les tetes couronnees francaises, a bien failli...

- Merci, Tristram, ce fut tres instructif.

- Mais...

Revenons a Shandy et a sa famille. Si le pere Walter est obsede par les prenoms, et ensuite par les nez, en ecrivant des pages entieres de theories burlesques parodiant l'Encyclopedie, son frere, l'oncle Toby, a lui aussi son obsession. Les obsessions, Shandy les appelle "hobby horse" dans le livre.

Ma niece s'amuse a la vue de ce cheval a bascule.

- Voyons ! le hobby horse est une chose serieuse ! s'indigne Shandy.

Il a raison. C'est une chose si serieuse, en fait, qu'elle tourne  a l'obsession. Le hobby-horse (qui pourrait se traduire en francais par "dada") de Toby, ce sont les fortifications militaires. Il passe des heures, en compagnie de son frere, a reconstituer les fortifications de la bataille de Namur, a laquelle il a participe au point d'y etre blesse a l'entrejambe.

Toby est un gentil. Il ne ferait pas de mal a une mouche. Litteralement. Il est aussi amoureux d'une certaine veuve Wadman, si belle qu'il refuse de la representer. Il propose au lecteur de la dessiner lui-meme.

- Allons, petite, fais un essai. Dessine.

- Ou ca ?

- Eh bien, sur la page blanche que je t'offre, juste au-dessus.

Ma niece, qui aura deux ans le mois prochain, se met a dessiner.

L'Oncle Toby se fige un instant. Il reflechit.

- Saperlipopette ! mais c'est tout a fait cela ! quelle ressemblance avec ma chere veuve ! quel lyrisme, quelle poesie ! toutes ces couleurs, l'impossibilite de dire la beaute d'une femme et pourtant l'exprimer, la, sous mes yeux, oh, ma chere veuve Wadman, mon seul amour !

Mon Aube approche sa petite main du nez de Shandy qui n'existe pas.

- Tristram, tout va bien ?

- Je suis trop emu. Continue sans moi. Je te rejoindrai au prochain chapitre.

Ah, merci de m'y faire penser. Les chapitres. C'est dans l'esprit de Shandy que j'ecris ce blog. Le personnage ne raconte pas sa vie de facon chronologique, l'ordre des evenements ne l'interesse pas. Seul l'interesse le desordre des evenements. Alors, plutot que de decrire sa naissance, son enfance, et son age adulte jusqu'au moment de l'ecriture, il dit les choses comme elles lui viennent, selon l'humeur, avec un gout certain pour les digressions.

- Les "digres..." demande ma niece, laissant Toby a son dessin.

- Les digressions, mon Aube. L'art de passer d'un sujet a un autre, guide par la plume. Une idee en engendre une deuxieme, puis cette deuxieme une troisieme, et ainsi ecrit-on sa vie en mille pages sans jamais tout raconter.

- Mille pages. Ca fait beaucoup. Pourquoi mille pages ?

- Parce que Shandy ecrit sans arret, pour rattraper sa vie en cours d'ecriture.

La, ma niece perd pied.

- Ca ne fait rien, mon Aube. Avec Shandy, de toute facon, on ne peut pas tout comprendre avec la tete.

Voila. pour ceux qui ne connaissaient pas Shandy, j'espere que vous vous y retrouvez un peu mieux, moi-meme qui ecris je ne saisis pas tout.

La meilleure definition que j'aie entendue sur Shandy, c'est une jeune professeur qui me l'a donnee lors de mon annee de Licence.

Il s'agit d'un OLNI. Non pas d'un OVNI (dont on ne parlait pas encore a l'epoque de Sterne) mais d'un OLNI --

Objet Litteraire Non Identifie.



02/09/2009
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