AUX ILES D'ARAN
Il y a quatre ans, j'arrivai a Galway en ratant de peu le bateau pour les iles d'Aran. je passai cependant une journee splendide et ensoleillee sur la baie, bercee par les couleurs pastel des maisons alentour.
C'est donc avec une emotion particuliere que je repris le bus de Dublin a Galway, puis de Galway au ferry, puis du ferry au dernier bus qui sillonnait l'ile. Beaucoup de pluie ce jour-la, hormis au moment precieux ou nous arrivames au pied du fort.
Touristes et sacs a dos, accents emerveilles face au paysage, et moi, je decidai, comme a mon habitude, de prendre un autre chemin, moins lisse et plus aventureux que la route offerte a tous. Je plongeai mes chaussures de ville dans l'herbe genereuse et douce, chaussures d'homme qui m'ont menee face a la mer, au plus pres d'une falaise abrupte et noire, ou jaillissaient d'une eau turquoise des nuages d'ecumes.
L'eau n'etait claire qu'a cet endroit, ou les remous eclaboussaient la pierre. Partout ailleurs l'eau etait anthracite, presqu'aussi noire que la falaise elle-meme. Le ciel aussi s'etendait, gris et beute comme la mer qu'il epousait.
Je sortis mon fidele cahier et ma plume...
HYMNE A INIS MOR
Toi et tes falaises immenses
Ou la mer grise et noire vient mourir
en ecume turquoise
Je viens puiser mon encre au plus pres
Des fentes larges de tes yeux en cascade
Une brume mouillante d'ecume a ta bouche.
Je n'ai qu'une encre bleue
pour rendre tes nuances d'automne
avant l'automne
Sous ton regard eternelle sagesse
Mon orgueil s'eteint, la nature me penetre
en amante passionnee, exigeante et sublime
Oh, ma terre, que je ne quitterai plus.
Seule muse qui m'ait rendue fidele
J'avais jure de revoir tes montagnes d'esperance
et je les ai cherchees en maints endroits.
Je ne les chercherai plus
car je m'y suis trouvee.
Je laissai expres le bus partir sans moi, pour gouter plus longtemps au plaisir d'etre seule. Une fois ce plaisir satisfait, je rejoignis la route ou les touristes grimpaient lentement. Je parvins au sommet, et l'ironie voulut que, devant une falaise irlandaise,
pendant ce sejour qui ressemble fort a des vacances de vie, vienne sonner une langue que je n'avais plus entendue depuis l'ete de mon enfance. Tout a cote de moi discutaient trois israeliens. Je leur proposai de l'eau en deux mots d'hebreu dont je me souvenais. La conversation fut breve et amicale. Quand ils partirent, un bostonien arriva bientot et declara :
" La vue est a couper le souffle."
Etrange reflexion. Il m'a semble, au contraire, que je respirais mieux.