Libre comme l\'Eire

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RIDEAU ! LE THEATRE DANS HABEMUS PAPAM

Questionnement existentiel d'un pape dans le dernier Nanni Moretti.

 

 

 

 Tapis rouge, cape rouge, porte rouge, tout est théâtre dans un monde de faux semblants où l'on voudrait que la foi fut inébranlable.

 

Et surtout, rideau rouge, devant lequel le pape, contrairement à la tradition, n'apparaît pas... Dans une scène hyper-théâtralisée, un cardinal crie à la foule avant l'entrée en scène du protagoniste:

 

 

HABEMUS PAPAM

 

 

En latin, "Nous avons un pape."

 

 

Dans cette scène tragi-comique, on entend Piccoli, remarquable dans le rôle, pousser un cri d'effroi. Un cri de tragédien que l'on attendrait davantage à la fin de l'intrigue qu'au début. Et l'on voit le rideau, flottant, qui ne s'ouvre sur rien.

 

 

 

HABEMUS PAPAM ET MOLIERE

 

 

Le pape, donc, joue  à l'Arlésienne. Rien d'étonnant  quand il s'agit d'un pape malgré lui.

 

 

 

 

 

Molière raillait, en son temps, le faux savoir des médecins et leur ton sentencieux, en ridiculisant leur incompétence à coups de latin inventé.

 

 Nanni Moretti, lui, prend un malin plaisir à confronter le pape à deux médecins, meilleurs  psychanalystes d'Italie. La religion face à Freud, Moretti en rêvait, et l'a fait. D'une manière plutôt réussie. Le pape, une fois devant la psy, doit bien s'inventer une occupation. Il déclare être acteur. S'ensuit une métaphore filée qui envahit peu à peu tout le film, dans un parallèle constant entre l'acteur et l'homme d'Eglise.

 

Molière, quant à lui, s'est attaqué aux éclésiastiques de façon aussi virulente qu'envers les médecins.

 

 

Cela lui a valu les foudres de l'Eglise, avec laquelle il se réconcilia dans une autre pièce, Dom Juan, où l'imposteur, cette fois, brûle en enfer.

 

 

IMPOSTEUR, HYPOCRITE, ACTEUR: UNE QUESTION D'ETYMOLOGIE

 

 

L'Imposteur, c'est effectivement le sous-titre de Tartuffe, nom propre devenu nom commun dans la langue courante, tout comme Dom Juan, d'ailleurs.

 

Imposteur, voyons... selon le dictionnaire de l'Académie Française:

 

"Celui qui trompe, qui abuse autrui par des mensonges, de fausses promesses, dans le but d'en tirer un profit matériel ou moral."

 

Tiens, tiens... C'est drôle comme l'on peut rapprocher le Tartuffe du Dom Juan, car le séducteur induit lui aussi en erreur, et obtient ce qu'il désire par le mensonge et les fausses promesses. Le Dom Juan de Molière tire un profit personnel dans l'immoralité, en charmant de jeunes vierges pour mieux les abuser.

 

Voyons maintenant l'hypocrite:

 

 

Personne qui simule la dévotion.

 

 

C'est ce sens premier, sans doute, qui inspira Molière pour Tartuffe. A l'époque, les hommes d'Eglise étaient fort bien considérés socialement et recevaient une paye honorable. De nombreux faux dévots sont alors apparus, moins attirés par le mystère divin que par l'appât du gain.

 

Et si l'on s'intéresse à l'étymologie du mot "hypocrite":

 

Emprunt au bas latin hypocrita « hypocrite » (lat. imp. « mime [qui accompagnait l'acteur avec des gestes]) », gr.  « celui qui distingue, explique, interprète; acteur; fourbe, hypocrite »

 

 

Ah. Relation étymologique entre l'hypocrite et l'acteur. Ironie du verbe quand on sait qu'au siècle de Molière, l'Eglise condamnait les gens de théâtre: c'est qu'ils faisaient semblant d'être quelqu'un d'autre, et menaient hors de scène, disait-on, une vie dissolue. Les comédiens n'avaient pas même droit à un enterrement chrétien.

 

 

C'est justement l'hypocrisie de l'Eglise que Molière a dénoncée: le Tartuffe séduit la maîtresse de maison, bien caché derrière sa bible. On remarque dans cette attitude une autre définition de l'hypocrisie, chère aux anglo-saxons, résumée dans l'expression "Faites ce que je dis, pas ce que je fais." Le dévot a des moeurs coupables tout en accusant les autres de mener une mauvaise vie.

 

 

 

TARTUFFE AU CINEMA

 

 

Dans l'adaptation cinématographique de Murnau en 1925, Tartuffe est diabolisé. Il apparaît davantage en figure vampirique qu'en bigot ridicule:

 

 

 

 Le parallèle entre le dévot et l'acteur est très net dans l'adaptation récente de Laurent Tirard, qui déroule en 2007 une vie inventée de Molière, Romain Duris dans le rôle-titre. Ici, dans un renversement ironique, c'est le déguisement d'homme pieux qui permet à Molière de se montrer sincère:

 

 

 

 

 

 

Dans cet extrait, on découvre deux hypocrites : Dorante, le flatteur (interprété par le savoureux Edouard Baer) venu emprunter de l'argent à "son meilleur ami." Le second, Molière lui-même, déguisé en homme de foi pour enseigner à Monsieur Jourdain (bourgeois gentilhomme incarné par Lucchini) comment séduire une belle, à l'insu de son épouse.

 

Quand l'épouse en question se retrouve seule avec le Tartuffe (à environ 2 minutes 30 sur cette vidéo) elle évoque "le rôle" qui lui a été confié, et Molière se croit découvert. Elle déclare alors:


 "Monsieur Tartuffe, il y a bien longtemps que j'ai compris que les hommes d'Eglise ne sont, pour la plupart, que des acteurs, répétant inlassablement les mêmes textes avec plus ou moins de conviction."

 

C'est bien là le dilemme du pape de Moretti: doit-il faire semblant ? Doit-il endosser la plus haute responsabilité de l'Eglise quand il se rêve ailleurs ? Croit-il toujours en Dieu ? Et pourquoi Dieu l'aurait-il choisi pour une fonction qu'il n'a pas la force de remplir ?

 

 

Chez Nanni Moretti aussi, l'Eglise est menteuse: un cardinal s'évertue à rassurer la presse et les fidèles, prétendant que le pape se repose. Il ment aux autres cardinaux, et engage un garde-suisse qui se fera passer pour le saint-père. Le bonhomme, gros, maladroit, un peu benêt, prend la place du cardinal Melville et se cloître dans sa chambre en engloutissant de copieux repas. Il incarne donc un personnage de farce, au sens littéral, puisqu'il se gave de diverses viandes. Il introduit dans le film le thème du théâtre dans le théâtre: il joue le pape qui joue au malade imaginaire. Seule son ombre se révèle derrière le rideau (encore un) qu'il agite de temps à autre, sous le regard ébahi des cardinaux, dupes du subterfuge.

 

 

TCHEKHOV ET LE DENOUEMENT DE HABEMUS PAPAM

 

 

Seul dans les rues de la ville, Piccoli joue merveilleusement son dilemme - cornélien, cette fois - et confesse qu'il se rêvait comédien avant de choisir la voie divine. Plusieurs scènes se déroulent ainsi au théâtre. Le cardinal improvise un dialogue des Trois soeurs de Tchekhov en donnant la réplique à un acteur fou. Comme dans Mrs Dalloway de Virginia Woolf, ce n'est pas le personnage principal qui cède à la folie, mais son double artistique, revenu de son séjour en asile psychiatrique pour assister à la pièce de Tchekhov qu'il a mise en scène.

 

Les Trois Soeurs, bien-sûr, n'est pas une oeuvre choisie au hasard. Tout d'abord, les soeurs s'ennuient.

 

 

 

 Elles voient leur vie défiler, immobiles et tristes. Le temps s'écoule et les rêves se meurent: le vertige existentiel des trois femmes résonne douloureusement chez le héros de Moretti. Pendant ce temps, le rideau rouge théâtre, qui devrait accueillir le nouveau pape, s'ouvre sur du vide.

 

 C'est lors de cette représentation des Trois Soeurs que les cardinaux ratrappent le pape évadé pour le forcer à assumer son rôle. Dans une scène hautement théâtralisée, les cardinaux, dans leur habit rouge et sévère, prennent la salle d'assault. Le pape est cerné, il n'a d'autre choix que de les suivre.

 

Dans la dernière scène, le rideau rouge s'ouvre enfin sur lui, mais sa prise de fonction ressemble aux adieux d'un acteur à son public, avant même le début du spectacle.

 

 

 



24/10/2011
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