Libre comme l\'Eire

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QUAND J'ETAIS UN ARBRE

Si le soleil existe en Irlande, il s'ébroue surtout en juin. En particulier quand Shakespeare résonne dans les jardins de la capitale. Cette année, comme l'année précédente, Trinity College a organisé un festival Shakespeare. Tous les clubs de théatre de Dublin s'y sont mis: universités, professionnels et amateurs se sont réunis pour faire trotter les mots dans les rues pavées et l'esprit des promeneurs.

 

 

 

Ainsi, j'ai déambulé dans la capitale, cafe au lait a la main, casse-croute dans le sac, pour profiter du festival sans en perdre une miette. J'ai couru, de Trinity a St Stephen's Green, le coeur tout au théatre, le sandwich mis en pièces.

 

Tout défilait en accéléré, y compris les textes. Des étudiants de Trinity, par exemple, ont joué une parodie de Shakespeare, sorte de best of loufoque, The Complete Works of Shakespeare Abridged, comprenez "Les oeuvres complètes de Shakespeare abrégées."

 

Question primordiale : comment faire tenir 37 pièces en une seule?

 

Réponse : en choisissant un petit bout de chacune, ou mieux, en condensant cinq pièces en cinq minutes.

 

Pas évident, quand on sait que la Crise sévit partout, de monter un pièce avec peu de moyens. 

 

Tout d'abord, il nous faut les oeuvres complètes de Shakespeare.

 


 

- Mais non, Shandy, tu t'es trompé d'image !

- Non, c'est bien celle-la.

- Mais ce ne sont pas les oeuvres complètes de Shakespeare !

- C'est juste. Mais pour des raisons budgétaires, on a seulement pu se procurer un livre de cuisine d'occasion.

 

Bon. Alors, tant pis. Au moins, on peut se rattraper avec les accessoires. Pour les tragédies, par exemple, on a besoin d'une épée...

 

 

- Enfin, Shandy!

- Question de budget...

 

Ne désespérons pas. Ce qui compte, après tout, chez Shakespeare, c'est le texte. Sans oublier la mise en scène et les costumes. Pour jouer Romeo et Juliette d'une manière un peu originale, il suffisait d'échanger les roles : un garcon pour jouer Juliette et une jeune fille pour jouer Romeo. Voyons ce que ca donne...

 

 

Le public assiste donc, hilare, a une pièce en plein air qui semble improvisée. On dira qu'il s'agit d'une adaptation moderne. Pas si sur. Apres tout, a l'epoque shakespearienne, les femmes étaient jouées par de jeunes garcons. Le Globe Theatre de Londres, quant a lui, est resté a ciel ouvert...

 


C'est aussi a ciel ouvert que se jouait , chaque soir du festival, la comédie Comme il vous plaira. Quel meilleur cadre que Trinity, et ses arbres centenaires ou pépiaient les oiseaux ?

 


 

C'est dans ce décor que la GB Company, qui n'a rien a envier a la fameuse Royal Shakespeare Company, a joué la comédie de Shakespeare ou l'on dit justement que "le monde entier est une scene." Le plus simple, c'est d'en regarder un extrait...

 

 

 

On ne me voit pas sur la vidéo, bien sur, mais j'ai joué, moi aussi, dans la pièce.

 

 

- Si, Shandy, je t'assure !

- Ah oui ? Et tu jouais qui ? Rosalind ? Celia ? Le fou, peut-etre ?

- Euh... non. J'étais un arbre.

 

 

Absolument. Un arbre. Cette année, au club de théatre, j'ai voulu jouer Queen Margaret dans Richard III...

 

 

... et puis on m'a dit que j'étais pas assez effrayante. Mais c'est pas vrai. Tenez, pour savoir a quel point je suis effrayante, imaginez... Bourvil sur des échasses.

 

Bref, ma seule chance de jouer Shakespeare fut celle-la,  jouer un arbre de la foret d'Arden . Dans l'intrigue , le beau et impétueux Orlando tombe amoureux de Rosalind, et lui écrit des poèmes qu'il dépose dans les arbres de la foret, afin que son aimée les trouve.

 

Comme deux ou trois personnes du public, j'ai eu l'honneur de tenir a la main l'un de ces poèmes, donné par Orlando et vite repris par Rosalind. J'ai donc joué un arbre shakespearien pendant près de deux minutes.

 

J'étais un arbre très convaincant. Immobile, sage, silencieuse. Un vrai role de composition.

 

 

Une telle chance n'aurait pas été permise, bien sur, dans un théatre traditionnel. Jouer Shakespeare en plein air ressuscitait la dimension interactive de son oeuvre, et redonnait un sens a certaines répliques, comme l'une des chansons du ménestrel


  Under the greenwood tree
     Who loves to lie with me,
     And turn his merry note
     Unto the sweet bird's throat,
   Come hither, come hither, come hither:
     Here shall he see
     No enemy
   But winter and rough weather.

 

En évoquant le mauvais temps qui pouvait survenir, le ménestrel regardait le ciel de Dublin, et les spectateurs riaient, mais juste un peu, tant ils craignaient, comme l'acteur lui-meme, que la pluie ne vienne se meler a la fete.

 

Apres la représentation, j'ai eu le plaisir de voir d'autres personnages de Shakespeare attendre le bus.

 

 

Le ménestrel se tenait parmi eux (jeune homme au premier plan.) Au cinquième jour, il n'avait plus de voix, tant il avait crié pour presenter le spectacle et attirer les curieux vers un coin reculé du parc, ou se jouaient Les oeuvres completes de Shakespeare abregées.

 

Cette parodie n'a pas été écrite par des étudiants. Il s'agit de la reprise d'une pièce professionnelle. la preuve, la prestigieuse Royal Shakespeare Company l'a montée également. En guise de conclusion, voici donc le rap d'Othello...

 



10/08/2010
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