LES MAINS D'ARMAND
Les mains d'Armand couraient comme un félin sur les tranches des livres, des mains blanches et agiles, dont j'ai découvert la sensualité dans une surprise discrète. Mes yeux suivaient ses mains, elles avaient le teint crème du papier qu'elles frôlaient. Sous les doigts d'Armand j'imaginais l'amante ; maîtresse qu'il n'a pas puisque seuls les livres reçoivent ses caresses. Et je l'imaginais, vieil homme aux mains lisses dans sa bibliothèque idéale, à faire briller les yeux des amoureux des lettres.
Je regarde Notre-Dame dans la clarté laiteuse. Sous les mains d'Armand se lovaient mille cathédrales, il était le maçon à l'argile papier. Ses mains bondissaient sur les livres dans le velours des chats dont il aime tant la compagnie. Car il aime. Je ne le rêve pas mon amant, et pourtant je plains celle qui ne l'attend pas. Ses mains sur une femme, dans leur grâce masculine, effleureraient le parchemin, et l'encre apparaîtrait comme sur un palimpseste, contant tout le plaisir qu'il saurait révéler. Des mains de pianiste bien qu'il n'en soit pas un ; Armand est seulement passé maître dans la musique des mots.
Les cerisiers en fleur sur l'Hôtel-Dieu, c'est un peu l'alliance de ses mains sur les livres, la vanille sur le mauve des romans à deux sous. Armand ferait sourire Wilde, car il sait la valeur des choses en se fichant du prix. Il trouvait des trésors sous les mauvais auteurs, dénichait l'oeuvre de premier ordre en édition de seconde main.
Il y avait son visage aussi, visage de Sorbonnard, le cheveu filasse et bohème, les vêtements usés car ils n'importent pas. Ses yeux bleus printaniers se délectaient d'avance et se mouillaient un peu. Ses mains manipulaient dans un respect ancestral les ouvrages délavés.
Je suis triste de voir si peu Armand, et heureuse de l'avoir vu aujourd'hui, dans le jour printanier qui faisait éclater le marbre de ses mains.