Libre comme l\'Eire

Libre comme l\'Eire

LES LIVRES QUE JE NE LIRAI PAS

Donc, après le coup de gueule, parlons de désacraliser le livre.

 

Le livre, c'est l'angoisse. Voyez vous-même.

 

 

 

 

Cadenassé comme une ceinture de chasteté, épais, et surtout... fermé. Le livre est un bloc, un pavé, une brique, une masse lourde et dense, que l'on met sur la tête pour se tenir droit. Si le livre est sacré, c'est d'abord une question étymologique. Bibliothèque, bibliophile... Le livre, à l'origine, désigne la Bible. Pas étonnant qu'il soit sacralisé.

 

Et on le sacralise au point de décourager à la lecture.

 

Pierre Bayard dénonce très bien, dans son essai, l'hypocrisie universitaire : dans ce milieu, il est souvent malaisé d'avouer que l'on n'a pas lu certains ouvrages. Roland Barthes a déjà affirmé que ceux qui prétendent avoir lu tous les classiques sont de fieffés menteurs. Mais comment avouer, quand on est prof de lettres, qu'on n'a pas lu Notre Dame de Paris ?

 

 

 

Y a-t-il des auteurs dont on est forcé de dire qu'ils sont extraordinaires ? Fait-on preuve de complaisance envers certains écrivains parce qu'ils sont considérés comme des piliers de la littérature ?

 

Est-ce si évident de terminer Voyage au bout de la nuit s'il s'agit d'un pavé de 500 pages semé de descriptions racistes ? Est-ce un mal d'éviter de lire Le Juif de Malte de Marlowe (conccurent de Shakespeare) parce la pièce empeste l'antisémitisme ?

 

Et puis il y a les autres livres, dont l'absence de lecture ne se justifie pas. J'ai un livre secret. Un livre qu'il est officiellement honteux de ne pas avoir lu si l'on est prof d'anglais. Mais, je suis comme les autres. J'ai du mal à l'avouer, surtout sur un blog que l'on peut retrouver sur Google...

 

D'où vient cette honte de n'avoir pas lu ? De l'école, sans doute.

 

Ouh... t'as pas lu le livre pour la fiche de lecture !

Mme Vitrichon va pas être conteeeeente...



Lectomaton Comme un roman Daniel Pennac par lectomaton

 

 

Se faire gronder. Je prends la résolution de ne pas culpabiliser mes étudiants l'an prochain si je m'aperçois qu'ils n'ont pas lu les oeuvres au programme. Car beaucoup ne les aurons pas lues. En première année, on est plus tenté d'aller prendre un café entre potes que de se farcir un roman victorien.

 

Il s'agira de leur donner envie de lire, en passant par l'image. D'expliquer, comme Pennac, qu'on a le droit de ne pas lire, ou de ne pas finir un bouquin, ou de sauter des pages, ou de commencer par la fin.

J'ajouterai: ne pas se sentir coupable de ne pas avoir lu.

 

Bayard nous parle aussi d'un soldat arrivé dans une bibliothèque, faisant le compte du nombre de vies qu'il faudrait pour en lire tous les ouvrages. Il se décourage, et décide qu'il n'en ouvrira aucun. Je ressens exactement l'inverse dans une bibliothèque.

 

 

 Je me réjouis à l'idée des livres que je n'aurai pas le temps de lire. Ceux que je ne verrai même pas, trop aguichée par d'autres à la couverture brillante et au terne contenu. Ceux qui me décourageront, d'apparence trop ardue, des livres à la pente escarpée vite remplacés par d'autres en pente douce. Les livres déconseillés par des amis que je considère fins lecteurs. D'autres encore dont le titre et la couverture donneront l'impression de déjà lu. D'autres enfin qui me resteront inconnus car je serai dans la tombe, et pourtant il n'y aura pas mort d'homme: on ne peut pas tout lire.

 

Il est peut-être des livres faits pour qu'on rêve de les lire. On refuse de les déflorer, par peur de la déception. On peut ainsi écrire la critique d'un livre en revendiquant ne pas avoir lu, et l'on jouerait à Proust, qui a écrit sur la ville de Parme avant de la visiter.

 

Des livres m'attendent, sans impatience, dans ma bibliothèque miniature. Ils sont beaux, ils sont neufs, ils m'appartiennent. Je les aime d'être là. ils attendent mon bon plaisir, l'âge mûr, la belle occasion, le conseil d'un ami, quelques jours de vacances, ou simplement qu'en ouvrant mon placard, je les découvre, surprise, comme s'ils avaient poussé là par magie.

 

 Je finirai sur la phrase de Jules Renard...

 

"Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux."




02/08/2011
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour