Libre comme l\'Eire

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LA GUEULE DE L'EMPLOI: HUMILIATION ET TRIOMPHE DE L'ABSURDE

Début octobre, France 2 a une la bonne idée de diffuser un documentaire dans son émission Infrarouge, intitulé « La Gueule de l’emploi. » Un membre de Youtube l’a mise en ligne, pour que ce docu d’utilité publique soit accessible à tous.(pour voir le documentaire dans son intégralité, cliquez ici)

 

Des personnages, considérés comme « gentils » ou « méchants, » une mise en scène qui ressemble à du théâtre filmé, ses ingrédients le feraient presque passer pour une fiction. Mais c’est bien un entretien collectif véritable que Didier Cros a filmé, sur deux jours, en donnant l’occasion aux candidats de s’exprimer en aparté sur leur ressenti.

 

Les candidats, tout d’abord : 10 au départ, 3 ensuite, deux seulement décrocheront l’emploi tant convoité. 10 candidats, dont certains seront prêts à tout pour sortir du chômage, vont passer plusieurs épreuves avant l’entretien individuel. Les recruteurs, quant à eux, sont cinq, trois hommes et deux femmes, travaillant pour GAN, compagnie d’assurance.

 

Rogers, l’un des recruteurs, marche de long en large, tel un procureur dans une salle d’audience. La première impression de Julie, seule femme candidate, est d’avoir affaire à un jury. En effet, les recruteurs jugent, jaugent, mais quoi ? Dès les premières minutes, Rogers revendique le fait que le CV des candidats est inconnu des recruteurs, jusqu’à la dernière étape. Sur quoi se basent les recruteurs, dans ce cas, pour choisir un candidat ? Ce ne sont plus l’expérience et les diplômes qui priment, mais de nouveaux facteurs, cités par le procureur « une grande tolérance à la pression et à la frustration. » Julie résume fort bien le but des recruteurs : « les entreprises sont avides aujourd’hui de personnes qu’elles vont pouvoir modeler et faire adhérer à une certaine politique d’entreprise. » Il s’agit donc d’une capacité à se conformer plus qu’un don pour la vente de vente, un esprit d’initiative ou un talent créatif.

 

 

 

LE REBELLE, ENNEMI DE L'EMPLOYEUR

 

 

 

Sans qu'on le dise, la docilité devient le maître-mot du recrutement. Docilité au travail, ou comment accepter d'être traité comme un chien avec le sourire.


 

 

 

Pour les recruteurs, la docilité prime, et avec elle « une grande tolérance à la pression et à la frustration. » Comme dans la plupart des dystopies ou anti-utopies, l'ennemi, c'est le rebelle, la gueule de l'emploi ce n'est, à l'évidence, pas la grande gueule.

 

Cas d'école: Hervé, venu à l'entretien sans cravate. Crime Ô combien impardonnable. Il se fait épingler par le procureur, et deux candidats viennent former le choeur des loups. Un autre candidat indique, en voix discordante, qu'on peut être bon vendeur sans porter la cravate, et sa réflexion me rappelle une réplique de Pierre Richard dans un film de Francis Veber. En 1976, le réalisateur dénonçait déjà des abus de pouvoir au travail, mais sur le ton de la comédie.

 

 

 

 

 

 

Dans la première scène du film (que l'on peut visionner intégralement ici) Pierre Richard (l'un des nombreux François Perrin de Veber) est en entretien d'embauche. Le recruteur lui demande d'aller se faire raser la barbe et de revenir le voir. Premier pas vers une série d'acceptations, jusqu'à la plus absurde: devenir "le jouet" du fils du patron. Suivra un parallèle pertinent avec "les jouets du président," ou comment ce patron considère, comme son fils, qu'il peut manipuler les humains comme des jouets. C'est la peur du chômage qui incite François Perrin à jouer le jeu. C'est elle aussi qui poussera les candidats, malgré leur intelligence et leur lucidité, à jouer le jeu des recruteurs, jusqu'à l'humiliation et l'absurde.

 

Vous me direz que refuser de porter la cravate est une forme de provocation, et que le port de la barbe est plus discutable. Certes. Mais c'est dans une démonstration par l'absurde que Francis Veber dépeint ce dont on est capable pour décrocher ou garder un emploi.

 

Julie déclare dans une pensée prophétique: "Celui qui n'aura pas une grande résistance se fera lyncher, ou se perdra lui-même."


 C'est justement pour éviter de se perdre que certains candidats préfèrent quitter les lieux avant que les choses n'empirent. Partir, c'est encore une manière assez digne de ne pas en être.

 

L'un d'eux, Didier, se définit lui-même comme "le quinqua corvéable à merci." Mais il dit également qu'il "n'est pas prêt à accepter n'importe quoi." C'est la première épreuve qui l'encourage à pousser la porte de sortie.

 

 

VENDRE SON VOISIN: TEST ET HYPOCRISIE

 

 

Didier, pour commenter cette première épreuve, établit un lien entre l'idée de vendre son voisin et le passé esclavagiste: "Mon métissage me gêne un peu." S'il le dit avec le sourire, le parallèle est pertinent, et suggère déjà le but des recruteurs d'avilir les candidats.

 

Vendre son voisin pour mieux se vendre soi-même, la technique est courante dans les cabinets de recrutement. Un bon vendeur est censé savoir vendre n'importe quoi, y compris des trombones: cela fera d'ailleurs l'objet de l'épreuve suivante.

 

 

Mais ne s'agit-il pas aussi de connaître mieux ses concurrents, et se rendre compte, lors de la galerie de présentations, qu'untel paraît plus jeune et plus dynamique, tel autre plus expérimenté et sûr de lui, un autre encore quelque peu requin et prêt à tout pour décrocher le poste ?

 

C'est bien dans ce climat de concurrence que les candidats sont plongés, développant sans le savoir des complexes vis-à-vis des autres candidats, et amenés à douter d'eux-mêmes face à une performance réussie. Le conditionnement a démarré. Dans la bouche des candidats se bousculent les adjectifs évoquant leur désarroi : "bizarre, étrange, surprenant." L'entretien collectif les fait entrer dans une nouvelle dimension où les repères tombent, et où les recruteurs sont seuls maîtres du jeu.

 



 

 



05/11/2011
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