JESUS LOVES ME
Curieux titre pour une non-croyante qui reprend son blog après des semaines de silence. J'ai écrit d'autres textes que je n'ai pas rendu publics, mon silence n'est jamais véritable.
Mais voilà que je pense au silence des cathédrales, dont celui de ma favorite que je retrouverai bientôt
Si la juive non-croyante que je suis vous écrit, c'est parce qu'elle a été interpellée par une croyante, un matin dans le métro. C'était une femme des îles ou d'Afrique, souriante et ronde, en boubou coloré. En m'asseyant en face d'elle, je lui addressai un simple bonjour. Nos deux âmes de bonne humeur se firent écho, nos sourires aussi. Ce fut tout. Mais avant de quitter le wagon, en guise d'au revoir, elle me dit "Jésus vous aime."
Moi, littéraire au verbe haut, adepte d'une ironie cinglante, me retrouvai toute chose face à cette déclaration. La gentillesse du personnage coupa toute raillerie.
Elle répéta "Jesus vous aime," et je bredouillai
"Eh bien, dites-lui... pareillement."
Contre toute attente, cette brève rencontre dans le gris du métro ensoleilla ma matinée. Puis je repensai à ma réplique. "Pareillement."
Une petite réflexion s'impose sur le juif le plus célèbre au monde.
Que dire d'une petite fille non-pratiquante qui se tapait Les Dix commandements en boucle (le film de Cecil B. De Mille, pas la soupe d'Obispo, hein ?)
d'une juive non-croyante férue de Renaissance italienne,
qui se jette sur l'expo Rembrandt au Louvre ?
Expo qui faisait la part belle, d'ailleurs, à la représentation par Rembrandt de la communauté juive de son temps.
Que penser d'une anglaise de coeur qui, en cas de choc, s'exclame volontiers "Oh, Lord !" ou "Oh, my God !" ?
Vous me direz que bien des non-croyants emploient ces expressions, jusqu'à Luis Bunüel, qui a déclaré, sur son lit de mort:
"Je meurs en athée, Dieu merci."
Dernière boutade de l'artiste, ou abdication, au contraire, devant l'omniprésence de Dieu, réfutée par les penseurs mais en quelque sorte confirmée par la langue ?
"Le doute, c'est le début de la croyance," me dirait Daniel, un ami qui a poursuivi des études rabbiniques.
Dans le judaïsme, il est interdit de prononcer le nom de Dieu en vain, notamment lors d'un juron. Mais le "si Dieu veut" est fréquent chez les pratiquants, y compris chez nos cousins musulmans dans leur fameux Inch 'Allah.
Peut-on s'intéresser à la religion de manière purement intellectuelle ? Avec Daniel, rabbin en devenir, j'ai entretenu de longues conversations passionnantes, qui s'arrêtaient, cependant, au pied de la montagne Croyance. puisque le domaine seul de la Pensée me convainc.
Mais ce temps passé dans les cathédrales, quand mes pas me menaient, malgré moi, vers la Judenplatz de Vienne
ou au quartier juif de Prague ?
A l'adolescence, l'ironie se jouait sur mon visage quand je faisais face à quelque bigote m'expliquant qu'elle possédait deux lave-vaisselle, l'un pour le lait, l'autre pour la viande, car on sépare les deux dans une maison casher.
En même temps, je ne peux m'empêcher de considérer les croyants avec curiosité, et parfois une forme d'admiration. Je suppose trop de sagesse à ceux qui refusent de recourir sans cesse à la Raison. Je ne peux m'empêcher de les envier, les croyants, avec leur espoir inébranlable, leur foi en ce vaste projet qui nous dépasserait.
L'existence physique du Christ est avérée. C'est son statut de fils divin qui fait débat. Au Louvre, encore, me vint une pensée: qu'aurait été le monde sans la légende de cet homme ? Plus de tableaux de la Passion, plus de représentations de la Madone et de l'enfant, plus de Chapelle Sixtine, pas de Fin de Satan d'Hugo ni de Faust de Goethe, pas de gospel.
D'autres religions auraient poussé, nouveaux prophètes et nouveaux temples. Des millions d'êtres épargnés, ou des millions d'autres massacrés au nom d'un Dieu baptisé autrement.
Si Jésus m'aime... Il aime ceux qui ne croient pas en lui. Je le comprends: il doit être écoeuré de ceux qui l'aiment un peu trop.