Libre comme l\'Eire

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ANATOMIE DU C-WORD

 C’était un homme seul dans un supermarché. Il était vieux, maigre, le visage émacié, la barbe poivre et sel. Il s’est approché de mon oreille, et s’est mis à murmurer. Célibataire depuis longtemps, j’attends avec impatience que des mots doux viennent voltiger à mon oreille. Mais non. Cette fois-la, c’était un homme seul, de ceux qu’on appelle les exclus, sans domicile et sans travail, sans famille ni amis. On a du mal à le nommer alors on ne le nomme pas. C’est un homme, sans doute, qui se sent moins qu’un homme.

 

Mais il y a plus faible que lui. Il y a la femme. Partout ou il ira, il trouvera de ces créatures, plus fragiles que lui, pense-t-il, qu’elles soient filles de roi ou de rien. Alors il s’approche de chacune, indifféremment, de la bourgeoise au manteau de fourrure à l’étudiante au sac à dos troué.

 

 

 

Ce jour-la, il avait choisi une jeune prof.

 

Les injures se sont égrenées, caressantes comme des mots d’amour, venimeuses comme mille viperes.

 

Mon éducation m’a appris l’indifférence. J’ai d’abord pensé qu’il se lasserait, voyant mes yeux absorbés par les étageres, et mes oreilles apparemment bouchées. Une forteresse faite femme.

 


 

Puis il est tombé. Pas l’homme. Ni le mur.

 

LE MOT

 

Prononcé très distinctement, dans un accent irlandais, le C-word m’a écorchée.

 

Chez nous, quand on dit con, on pense plutôt à Villeret et Lhermitte qu’au sexe féminin.

 


 

Mais en anglais, le mot « cunt » est un cas a part.

 

Il désigne lui aussi le vagin, mot déjà assez laid, qui sonne médical, clinique, anatomique, quand il devrait être charnel, velouté, délicat. Pour comprendre, le mieux est de voir la piece qui lui est dédiée.

 


 

Entre cunt et con, une différence de degré. En français, on dit con à toutes les sauces, sur tous les tons. On passe de la colère à la tendresse, avec ce mot-la.

 

C’est con, pour dire « c’est dommage. »

 

C’est pas con, litote de tous les jours.

 

Con comme la lune, mort aux cons, l’air d’un con.


Moi, ca me rappelle Queneau,

 

Pierre Perret,

 

ou Brassens...

 


 

C’est coloré, enlevé, empli d'un charme désuet.

 

Mais en anglais, le C-word est plus tabou encore que le F-word.

 

Le F-word choque, les anglophones se retournent quand ils l’entendent, les ados en saupoudrent leur conversations, Tarantino en met dans ses films comme de la farine dans un sablé. Une ligne de vêtements en a fait sa marque de fabrique.

 

 

 

Le C-word ne s’entend tout simplement pas. Pas dans une conversation civilisée, c'est certain. Mais pas non plus dans la rue, ni dans les disputes de clochards, ni dans les bagarres d'ivrognes.

 

Pourquoi choisir le sexe feminin en guise d’injure ?

 

En francais, le mot con est si courant qu’il se féminise en conne,  et ces deux-la ont fait des petits : connard, connasse et autres conneries. Le con, c’est l’imbécile. On désigne l’imbecile par le sexe feminin. Est-ce pour affirmer que la femme est sotte ?

 

Le plus souvent on n’y pense pas. Con, c’est tout con, c’est comme table, chaise ou agrafeuse. Qui pense, quand il utilise le mot, a l’organe féminin ?

 

Cunt, c’est l’injure au-delà de l’injure. Les rares fois ou on l’entend au cinéma, les spectateurs ont le souffle coupé, comme les sorciers de Harry Potter quand ils entendent le nom Voldemort.

 


La première fois que j’ai entendu le C-word, c’était dans Sex and the City. Charlotte, la BCBG, rencontre un artiste obsédé par le sexe féminin, qu’il peint sans arrêt. Il lui propose de poser pour lui.

 

 

L'homme artiste souffre de savoir créer sans procréer. On oublie trop souvent la douleur des hommes face au mystere féminin. C'est un artiste qui m'a soufflé le surnom que je donne a mon domaine secret, mon protégé, ma source de plaisir : mon Origine du monde.

 


 

Mais dans la bouche de l'homme du supermarché, l'art était mort. L'insulte m'a ébranlée. La forteresse etait assiégée. Une attaque par surprise, malveillante. La pénétration la plus violente qu'une femme puisse connaitre: un vrai viol par les mots. Le mot n'est pas entré par mon oreille. Il est allé plus bas, il a fait trembler mon Origine du monde, il a forcé la porte de ma forteresse. Le mot m'est remonté par la gorge comme une nausée.

 

Jamais on ne m'avait renvoyée avec une telle haine a ma condition de femme, toute faite d'orifices, l'Oreille, la bOuche, l'Origine du mOnde.

 

Alors c'est par la bouche, qui recoit et qui donne, que j'ai contre-attaqué. Mon arme la plus redoutable, c'est elle, maitresse du verbe, du refus et de la lutte. Je pris un accent francais a couper au couteau.

 

Sorry, I don't speak English

 

L'ennemi était désarconné. Je lus sur son visage une déception, une surprise longue et triste. Toutes ces insultes, tout ce fiel en vain. La femme n'avait simplement rien compris. La seule forteresse imprenable, c'est l'ignorance.

 

L'homme a disparu, mais pas mon impression que la femme est condamnée a recevoir, des insultes, des menaces et des coups. Qu'une femme que l'on veut violer est victime d'avance. Pas moyen de se défendre, pas moyen meme de rejeter l'insulte qui pénetre corps et ame.

 

Quand j'y pense, mon Origine du monde en frémit encore, mon oreille quémande des mots d'amour. Je repense a ce pauvre diable qui viole par les mots car il ne sait faire autrement, gringalet qu'il est, vieillard impuissant. Je pense a cette condition biologique qui permet a l'homme d'assiéger la femme depuis des millénaires.


 

 

Je pense a Beauvoir, a Wollestonecraft (Mary Shelley), a ces femmes qui ont écrit le malheur de leur condition. Je pense aux hommes et a leur misere, sociale et sexuelle, qui les pousse a violer les femmes par les mots pour eviter le séjour a l'ombre. Je pense enfin aux filles qui naissent sans savoir qu'il eut été plus facile de naitre garcon.

 

Mais il faut continuer de faire des filles. Des origines du monde qui enfantent des origines du monde, comme des milliers de portes ouvertes sur l'infini.



02/10/2010
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